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remontant un peu plus haut, de montrer que nous n’avons jamais bien su ce que nous faisions à Madagascar : en tout cas, nous n’y avons jamais fait ce que nous voulions y faire. Notre politique a toujours marché au hasard des circonstances, conduite en réalité par un petit groupe de politiciens coloniaux qui ont sur les ministres l’avantage de présenter dans leur groupement une certaine stabilité, de savoir exactement ce qu’ils veulent, et de ne pas perdre de vue leur but un seul instant. La Chambre supporte leur domination avec impatience, mais elle la subit. Ce dernier épisode met parfaitement en lumière l’efficacité de cette influence, qui tantôt reste secrète, tantôt au contraire s’étale avec une allure conquérante, et qui pèse sans interruption sur les décisions du gouvernement et du parlement. On va à Madagascar pour y établir un protectorat d’une certaine nature ; à peine l’expédition est-elle en route que le traité longuement préparé par les hommes les plus compétens se trouve modifié. Un second texte est substitué au premier. Ici se produit un changement à vue ; le ministère est renversé ; c’est un événement qui, dans notre vie politique, coupe en quelque sorte tous les actes d’une pièce en plusieurs actes. Le nouveau ministère, ne sachant quel parti prendre entre le protectorat et l’annexion, décide qu’il fera l’un et l’autre, chef-d’œuvre d’éclectisme assez mal apprécié, mais qui, dans sa pensée, avait pour objet principal de réserver la question de l’esclavage, à laquelle il lui paraissait trop dangereux de toucher. Ici survient une nouvelle crise ministérielle. Le nouveau cabinet renonce au protectorat, proclame l’annexion et supprime, ou laisse supprimer l’esclavage. Tout cela se déroule en quelques mois avec une irrésistible puissance de logique qui ne laisse aucune part à la prévision, au calcul, à la sagesse politiques. Les mêmes hommes apportent les solutions les plus différentes ; la même Chambre émet des votes dans les sens les plus opposés. Comme partisans du protectorat, nous déplorons le résultat atteint ; mais nous serions partisans de l’annexion que nous ne déplorerions pas moins cette manière de procéder. On peut se résigner à une faute une fois commise ; on s’habitue moins aisément à voir jouer toute seule une machine de gouvernement que rien ne gouverne elle-même, et qui débite au hasard tantôt telle solution et tantôt telle autre, au petit bonheur. Si le ministère Ribot avait duré quelques jours de plus, ou si M. Hanotaux, — ce que nous le félicitons d’ailleurs de n’avoir pas fait, — avait accepté d’entrer dans le ministère Bourgeois, la solution qui aurait prévalu à Madagascar aurait été toute différente de celle qui vient de nous être imposée par l’initiative du même M. Hanotaux. Et ce n’est pas un reproche que nous adressons à notre ministre des Affaires étrangères ; il n’a sans doute pas pu faire autrement qu’il n’a fait ; mais on nous permettra de n’être pas rassuré en nous sentant dans un engrenage qui soumet à de pareilles