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arrive apporte la nouvelle d’incidens malheureux, qui prouvent à quel point notre occupation est faible, incertaine, purement nominale. Le maintien du protectorat, au moins pendant un certain nombre d’années, paraissait donc recommandé. C’était l’avis de M. Hanotaux ; il y a renoncé. On peut bien penser qu’il ne l’a pas l’ait sans motifs sérieux ; il ne s’est pas déterminé à la légère, bien qu’il l’ait fait avec une sorte de brusquerie. Pourquoi donc a-t-il si profondément modifié les conditions premières de notre établissement à Madagascar, telles qu’il les avait conçues et fixées lui-même ? Il a regretté certainement, — les explications qu’il a données à la Chambre en font foi, — d’avoir eu en quelque sorte la main forcée. La vérité est que le grand coupable, dans toute cette affaire, est notre méthode de gouvernement, si l’on peut donner le nom de méthode à l’absence de toute prévision au point de départ, de toute suite dans les desseins une fois formés, en un mot d’intelligence politique et de volonté. La rapide succession de nos ministères ajoute une nouvelle cause d’instabilité à celle qui provient déjà de l’incertitude et du flottement de nos idées générales. Comment faire, dans ces conditions, une bonne politique coloniale ? Et peut-être serait-il permis d’étendre cette question et de l’appliquer encore à d’autres cas.

Nous resterons neutres, pour le moment, entre les partisans du protectorat et ceux de l’annexion. Notre choix personnel est fait, mais il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas, dans ce domaine essentiellement contingent, de règle absolue : tout tient aux circonstances et à l’opportunité. Nous aurions compris qu’avant d’entreprendre l’expédition de Madagascar le gouvernement et les Chambres lui eussent assigné pour objet l’annexion pure et simple. C’était une politique, mauvaise à nos yeux, mais enfin une politique : elle aurait comporté une direction particulière à donner à l’entreprise, non pas tant pour la conduire à sa première étape, qui était la prise de possession de Tananarive, que pour la faire rayonner de là sur le reste du pays, au moyen de colonnes volantes qui auraient imposé partout notre force militaire et l’auraient substituée à l’autorité traditionnelle du gouvernement hova. Il y avait, de ce chef, des charges considérables à assumer : il fallait les regarder en face et y pourvoir. Il fallait aussi faire marcher derrière nos soldats une armée de fonctionnaires qui, à l’ombre de nos drapeaux, ou plutôt sous la protection de nos fusils, auraient organisé le pays à la française. On nous reprochera peut-être de forcer les traits du tableau : soit ! nous forçons les traits, nous les accentuons pour leur donner plus de relief, mais nous ne les dénaturons pas. A-t-on fait cela ? Point du tout. On ne l’a pas fait, on n’a pas voulu le faire pour deux motifs. Le premier est que le gouvernement d’alors était partisan très sincère du protectorat, et qu’il avait donné à ce système toutes ses préférences. Le second est que si on avait, à ce moment,