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tous les genres, un certain nombre d’exemples qui sont restés comme des modèles. Par malheur, du modèle à la formule, il n’y a qu’un pas, et c’est ainsi que nous avons la formule Henri Regnault, la formule Daniel Stern, la formule Gustave Flaubert, la formule Tombeau de Dreux. On peut sans doute, avec du talent et de l’intelligence, se tirer toujours d’affaire et renouveler le thème le plus banal ; mais il y faut de la science et du goût, et, pour aller plus loin, une sensibilité personnelle.

M. Hippolyte Lefebvre, pensionnaire de Rome, possède toutes ces qualités. La figure en bas-relief, qu’il appelle la Douleur pour le tombeau de Mme Th. Barrois, est conçue et exécutée avec une hauteur de sentiment et une souplesse de style qui marquent une belle âme d’artiste et une bonne main d’ouvrier. La grande femme, haute et longue, bien prise pourtant, robuste, d’une beauté pleine et mure et par l’âge attendrie se tient debout sous ses longues draperies, presque de face, s’appuyant, en une attitude un peu penchée, sur la branche d’un saule dont la cime monte et s’épanouit derrière elle. La main droite posée tristement sur la poitrine, elle va laisser tomber de la gauche un bouquet de roses fanées dont quelques-unes, effeuillées, gisent déjà sur le sol. Impossible de se méprendre au sens de l’allégorie ; impossible encore de n’être pas ému par la majesté douce de l’attitude à la fois ferme et troublée, du geste désolé et résigné, de l’expression grave et très émue du visage pensif, qu’ombrage une coiffure d’épis. Moderne par l’intensité de l’émotion qui trouble sa marche et qui altère son visage, cette Douleur semble antique par la noblesse et par la dignité, et elle demeure antique, tout près d’être déesse, pas la souple beauté de son corps chastement visible, comme celle des Grecques, sous les fines plissures des tissus légers. Phidias autant que Michel-Ange a donné, au jeune sculpteur, des conseils dont il s’est souvenu et qu’il a suivis, sans servilisme, avec cette indépendance respectueuse qui fait d’abord les bons élèves et, plus tard, les bons maîtres.

M. Hippolyte Lefebvre ne s’en tient pas d’ailleurs à ce monument distingué. Comme presque tous ses camarades de la villa Médicis qui, cette année, soutiennent résolument l’honneur de la vieille et glorieuse maison, il s’affirme, mieux encore, au milieu de la nef, par sa grande statue en marbre du Christ traînant sa croix. L’ouvrage a pour titre le Pardon. M. Lefebvre, en effet, a voulu donner à sa conception une valeur plus haute même que celle d’un simple portement de croix. Le Christ, en longue tunique, épuisé et haletant, sous le poids effrayant de l’énorme charpente liée à son cou, a fait halte, un instant, sur la montée rocailleuse du Calvaire ! Il s’est affaissé, un genou en terre. À ce moment,