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définissait le mariage chrétien « la parfaite société de deux cœurs unis », ou encore « le lien sacré de deux cœurs unis ». Le mot « cœur », dont on chercherait en vain l’équivalent dans les vieilles formules latines, vient tout naturellement au bout de sa plume en parlant d’époux chrétiens. Il écrit, à propos des bienfaits de la monogamie : « Une femme qui donne son cœur tout entier et à jamais reçoit d’un époux fidèle un pareil présent et ne craint point d’être méprisée ou délaissée pour une autre. » Ces petites lignes çà et là tiennent chaud à l’âme, qui risquait d’être transie par la rudesse avec laquelle Bossuet pourchasse jusqu’à l’ombre de la passion. Elles font comprendre qu’il ne s’agit que de distinguer les affections nobles d’avec les autres, celles qui sont « la honte de la nature raisonnable ». La distinction est aisée à établir : Bossuet n’admet pas qu’on puisse être à la fois « amans » et « époux ». On est l’un ou l’on est l’autre, et il en veut à la littérature de son temps d’établir une confusion entre les deux termes. C’est l’un de ses grands griefs contre le théâtre. « Toute comédie, dit-il, veut inspirer le plaisir d’aimer ; on en regarde les personnages non pas comme gens qui s’épousent, mais comme amans, et c’est amans qu’on veut être, sans songer à ce qu’on pourra devenir après[1]. » Il ne saurait en être autrement ; on n’amuse pas une salle avec les sentimens qui doivent exister entre mari et femme : « L’union conjugale (est) trop grave et trop sérieuse pour passionner un spectateur qui ne cherche que le plaisir. » On amuse une salle avec ce que le monde appelle les « belles passions », qui « excitent la jeunesse à aimer » et font les « mariages sensuels », au grand détriment de la tendre pureté sans laquelle Bossuet ne conçoit pas le « lien sacré ». Rien ne lui semble assez chaste, assez profond en même temps et assez complet pour son idéal d’affection conjugale.

De même Bourdaloue : « Il ne s’agit point seulement ici d’une société apparente, mais d’une société de cœur… Aimez-vous d’un amour respectueux, d’un amour fidèle, d’un amour officieux et condescendant, d’un amour constant et durable, d’un amour chrétien[2]. » Ailleurs : « L’effet de cette société doit être une union des cœurs si parfaite, que pour un époux l’on soit disposé à se détacher de tout, à quitter tout, à sacrifier tout[3]… » Aimez-vous, mais craignez la « passion », qui rend l’homme « idolâtre de la créature » et traîne après soi la recherche du plaisir, car on ne se marie point pour le « plaisir » ; on se marie pour fonder une famille et faire de ses enfans d’honnêtes gens,

  1. Maximes sur la comédie.
  2. Sur l’état de mariage.
  3. Sur les divertissemens du monde.