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par occuper la première place dans les explications des ministres de la reine. Il le fallait bien. Comment faire admettre qu’on imposât à l’Égypte, ou plutôt à ses créanciers, l’obligation de payer une entreprise militaire qui aurait pour objet principal de secourir les Italiens ? Cette proposition n’était pas soutenable : aussi a-t-on assuré qu’il s’agissait avant tout de l’Égypte.

Malheureusement la publication du Livre vert a fait naître quelques doutes à cet égard. S’il est vrai, au surplus, que l’intervention allemande ait été pour quelque chose dans le coup de surprise qui a accompagné l’annonce de l’expédition de Dongola, il y a tout lieu de croire qu’elle a été déterminée surtout par la préoccupation des intérêts italiens. Cette préoccupation a donc pris, au moins pour un jour, le pas sur toutes les autres. Mais ce n’est pas ainsi que le gouvernement anglais entendait présenter l’affaire à l’opinion européenne, et c’est pourquoi il y a eu, entre Rome et Londres, un échange d’explications qui n’a pas dû manquer de vivacité, si on en juge par les éclats dont les Chambres ont retenti. Les ministres anglais ont été si durs pour les ministres italiens, lesquels auraient manqué d’après eux à tous les usages diplomatiques en publiant leur Livre vert, que ceux-ci ont fini par se fâcher et par déclarer qu’ils avaient parfaitement su ce qu’ils faisaient. M. di Rudini en a pris toute la responsabilité, et il s’est plaint à son tour des récriminations auxquelles M. Curzon et M. Balfour avaient jugé à propos de se livrer publiquement. Il nous semble bien, en effet, qu’on a manqué aux usages à peu près également de part et d’autre, mais cette querelle n’intéresse en somme que les ministres en cause ici et là, et l’amitié des deux i>ays est assez solide pour n’en subir aucune atteinte grave.

Sur ces entrefaites est survenu le jugement du tribunal mixte du Caire au sujet de l’affectation que le gouvernement égyptien, derrière lequel il faut voir, bien entendu, le gouvernement anglais, a faite à l’expédition de Dongola des fonds de réserve de la Caisse de la dette. On sait que les commissaires français et russe avaient protesté contre cette affectation : leur protestation suffisait à la rendre irrégulière. Le syndicat des porteurs français a intenté un procès au gouvernement égyptien pour s’entendre condamner à restituer les sommes qu’il avait indûment détournées de leur destination normale, et comme il y a des juges au Caire, ils ont gagné leur cause. Le gouvernement khédivial en appelle, dit-on, devant la cour d’Alexandrie ; tout fait croire qu’il n’y sera pas plus heureux. La seule conclusion à tirer pour aujourd’hui de ces divers incidens, est que le gouvernement anglais s’est fort mal engagé dans cette affaire. Il n’a pas dit toute la vérité au pays. On ne sait pas encore très bien, parmi les mobiles qui l’ont déterminé, quels sont ceux qui ont agi plus spécialement sur lui, et le but véritable de sa politique reste assez confus. Pressé de questions à ce sujet par l’op-