Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le voir, en grande partie calmées, il reste encore beaucoup de situations particulières gênées et embarrassées. C’est là-dessus que comptaient les radicaux lorsqu’ils interpellaient le gouvernement au sujet de Mgr  Malhieu ; aussi le ministère n’a-t-il eu, ce jour-là, que 50 voix de majorité, chiffre minimum de sa majorité actuelle. Le surlendemain, à propos de l’interpellation Jaurès, la majorité s’est élevée à 80 voix, ce que nous ne regardons pas encore comme le maximum qu’elle puisse atteindre, mais ce qui est déjà un chiffre très respectable. Avec 80 voix de majorité au point de départ, un ministère peut gouverner longtemps. Quant à l’interpellation même de M. Jaurès, il y a peu de chose à en dire. Elle a donné l’occasion à M. Barthou de prononcer un excellent discours, dans lequel il a revendiqué tous les droits du gouvernement en matière administrative. La bonne administration du pays serait impossible si le ministre de l’intérieur n’avait pas toute liberté de changer ses préfets de place sans être obligé d’apporter leurs dossiers à la tribune et de les discuter avec la Chambre. C’est affaire de confiance entre le ministre et la majorité. De telles vérités sont à ce point élémentaires qu’on ne pouvait pas les contester. Aussi ne l’a-t-on pas fait. Mais, tout de suite, le débat, comme l’avant-veille, a pris un caractère plus général, et cette fois, au bleu du cléricalisme et de l’anticléricalisme, c’est le socialisme et l’antisocialisme qui se sont trouvés en présence. Entre les deux, la Chambre a été mise en demeure de choisir. Elle l’a été d’abord par M. Jaurès, il faut le reconnaître, mais aussitôt après par MM. Barthou et Méline, qui ont relevé le défi et qui, à leur tour, l’ont porté à leurs adversaires.

Le débat qui s’est produit à la Chambre avait été préparé par des discours et par des polémiques au dehors. Le premier de ces discours en date est celui que M. Léon Bourgeois a prononcé à Melun, et dont nous avons déjà parlé il y a quinze jours. On ne prévoyait pas à ce moment que cette harangue, dans laquelle l’ancien président du Conseil avait cherché un peu timidement à se séparer, ou plutôt à se distinguer des socialistes ou peut-être seulement des collectivistes, produirait parmi ceux-ci autant d’impression qu’il l’a fait. Il n’y avait en somme rien de nouveau dans cette production oratoire ; M. Bourgeois avait déjà dit plusieurs fois ce qu’il a répété à Melun ; mais on l’avait peut-être oublié, ou même, pendant qu’il était ministre, on n’avait pas voulu l’entendre. Les socialistes en auraient été gênés pour soutenir le cabinet radical. Dès qu’ils n’ont plus eu cette préoccupation, ils ont repris leurs coudées franches, et ils ont entamé entre eux une campagne de publicité, à la suite de laquelle un véritable schisme a éclaté dans le parti. N’étant plus groupés dans une même majorité gouvernementale par la nécessité de se faire des concessions réciproques, ils se sont mis à parler avec une grande abondance et se sont adressé les uns aux autres des imprécations très instructives pour la