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se concentrent aussi toutes ses qualités antérieures, affirme de même, par sa forte et chaleureuse tenue, ce que la bonne nature sait conserver de santé et de belle force chez ceux qui vivent d’elle et qui vivent en elle. A côté de ces nobles vétérans, en tête desquels marche toujours M. Français, suivi de MM. Dernier, Michel, Zuber, etc., d’autres artistes, d’âges divers, maintiennent la tradition du paysage français, le paysage de Claude Lorrain, de Joseph Vernet, de Paul Huet, de Corot, le paysage consciencieusement étudié, mais puissamment résumé dans son effet principal et général, le paysage expressif et poétique, mais d’une expression qui prend tous ses moyens dans la vérité et d’une poésie dont tous les élémens sont des élémens réels et qui satisfait à la fois nos deux passions instinctives et simultanées, la passion de vérité et la passion d’éloquence. S’il est dangereux de se livrer trop exclusivement à la première, qui se peut réduire à l’observation sèche et matérielle des choses, et bien plus encore de s’abandonner complètement à la seconde, qui mène à la rhétorique creuse et vague, il est toujours bon de les faire vivre ensemble.

Parmi ceux qui résument avec le plus de force ou d’éclat aux Champs-Elysées des impressions graves et approfondies, devant le paysage silencieux et désert où l’esprit se laisser librement aller à la contemplation, MM. Leliepvre (Sentier au printemps, Prairie avec arbres) ; M. Demont avec sa Terre promise, qu’il accompagne d’une étude originale, hardie et juste, le Temps d’Équinoxe ; M. Didier-Pouget (la Lande aux Bruyères) ; MM. Gosselin, Wallet Nozal (sans parler de M. Pointelin, qui renouvelle toujours, par de délicates variations, son motif favori), ont paru tenir le meilleur rang. M. Réalier-Dumas, en rêvant, dans l’angle d’un atrium de ville antique, à Pompéi, nous a donné un bon spécimen de paysage architectural. C’est encore là, cet exemple et bien d’autres nous le prouvent, une de nos traditions nationales auxquelles nous aurions le plus grand tort de renoncer. Nous avons eu toujours du goût, bien avant Lorrain et Poussin, pour le paysage bâti, pour l’architecture combinant ses effets avec ceux du ciel et de la verdure. Les miniatures de Jehan Foucquet, celles des frères de Limbourg ou de leur école, nous en offrent, au XVe siècle, les plus admirables exemples, et l’on peut même remonter au-delà. Le tardif, mais si juste et si nécessaire retour d’admiration qui s’est opéré, de notre temps, dans les esprits sains ou cultivés, vers nos grandes œuvres architecturales et sculpturales du moyen âge, doit encourager nos jeunes artistes à leur donner la place qu’elles méritent dans leurs contemplations de voyageurs. Que M.