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par sa seule générosité native, il exerce une action utile autour de lui. On en peut voir les effets, pas très heureux encore, dans le Pardon de Tronoan Lanvoran où M. Lucien Simon, troublé par son ami, exagère ses naïvetés et ses lourdeurs. On en constate de bien plus satisfaisans dans le portrait même de M. Cottet, par M. René Ménard, dont nous avons déjà parlé. Que M. Cottet et ses amis ne se découragent donc pas, qu’ils s’assouplissent et qu’ils se complètent en suivant cette voie franche et droite ; pourvu qu’ils nous délivrent, dans les paysanneries, du sentimentalisme romanesque et de la peinture vaporeuse, ils seront bénis.

Aux Champs-Elysées, d’ailleurs, on sent bien aussi, çà et là, le besoin d’en revenir, dans les sujets réels, à une exécution plus réelle, plus forte, plus colorée. M. Bordes, qui est un bon portrait (Portrait de M. Jean Aicard) et qui a fait d’estimables tableaux d’histoire, affirme ses qualités de compositeur et de peintre dans le Laboureur et ses enfans. On voit là, dans un intérieur rustique, très fermement brossé, un visage de vieux paysan à l’agonie et quelques autres campagnards d’un caractère juste et hardiment poussé. La douleur intense et naïve des deux jeunes époux contemplant, tout hébétés, le Berceau vide, après l’enterrement de l’enfant, par M. Buland, est exprimée simplement, avec force, d’une façon poignante. Le Joueur de vielle de M. Décote est une étude, ferme et ressentie, de la misère parisienne, dont quelques autres types, bien vus et bien rendus, se meuvent sur les seconds plans de Devant Saint-Sulpice par M. Besson. MM. Décote et Besson, déjà remarqués l’an dernier, ont de vraies qualités de peintres. Au Champ-de-Mars, en dehors de MM. Cottet et Simon, il n’y a guère (chose singulière ! ) dans ces sortes de sujets, de peinture généreuse et savoureuse, si ce n’est le Pèlerinage de M. Dauchez, paysage crépusculaire, un peu difficile à pénétrer, mais d’une harmonie douce et profonde avec quelques figures fort expressives. En général, chez les rustiques ou rusticisans, ce sont les traditions de Bastion Lepage ou de Meissonier qui dominent encore, c’est-à-dire l’analyse attentive plutôt que la synthèse chaleureuse, le dessin minutieux plutôt que la coloration large, avec une certaine tendance à la sécheresse et à la pauvreté dans le maniement du pinceau. MM. Friant et Muenier, les plus intéressans, dont les études, précises ou poétiques, sont toujours ingénieuses, soignées, délicates, ne se sont pas encore assouplis et réchauffés, en mûrissant, autant que l’a fait M. Dagnan et le plaisir qu’on éprouve à voir leurs toiles serait singulièrement accru si l’œil y trouvait, dans la facture, plus de vivacité et plus de liberté. Ils ont, ce semble, moins profité de leur séjour au milieu