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les plus énergiques qui aient porté au loin la gloire du nom français. Ce caractère de santé, de force, de gaieté aussi, qui est bien du terroir, le retrouvons-nous ici dans la jeune dame, élégante et languissante, qui préside cette correcte assemblée, avec les trois Grâces et l’Amour ? Le retrouvons nous même dans les attitudes, les expressions, les types, la plupart si connus, des revenans illustres qui l’entourent ? Moins d’aimables allégories, plus de réalité physiologique et psychologique, c’est ce qu’on demandera désormais et justement aux peintres d’histoire. Toutes les prestesses et les séductions de la brosse ne sauraient les dispenser de cette qualité fondamentale, la sincérité d’imagination. C’est une qualité qu’on a toujours remarquée dans les ouvrages de M. Rouffet et ce souci de la vérité se remarque encore dans son épisode de la campagne de Russie, les Aigles. Un groupe de soldats, sous la brume, dans la neige, chevauche d’un pas lourd, emportant les drapeaux sacrés, dont les hampes dépouillées et les aigles mutilées se profilent tristement sur le ciel. L’impression est grave et même grandiose, la peinture, par malheur, un peu mince. Comme tableau épisodique, la Charge repoussée, par M. Sergent, est un des plus vivans qu’il ait faits. Le moyen âge est surtout représenté par deux petites études de M. Jean-Paul Laurens, deux enfans dans un cachot, les Otages, et l’impératrice byzantine Irène ; cette dernière est un morceau excellent pour le sens historique et la force de l’expression colorée. Nous devons aussi remercier un Anglais, M. Joy, de nous avoir donné cette année, dans sa Jeanne d’Arc endormie, la conception la plus pure et la plus gracieuse de notre héroïne nationale. Dans lexvir3 siècle, M. Gaston Mélingue nous montre Jean-Bart, à Versailles, bousculant, avec sa rude franchise, les courtisans, et M. Gérome, le Roi-Soleil, vieilli et cassé, escortant, d’un pas fatigué, la chaise à porteurs où se prélasse la Maintenon, durant la Promenade de la Cour dans les jardins de Versailles.


II

L’imagination qui conçoit le beau et qui ressuscite le passé a toujours été le privilège d’un petit nombre d’artistes. Il n’est point surprenant que dans une époque d’agitation pratique et de surexcitations constantes, comme la nôtre, où la prolongation du rêve solitaire et de la réflexion personnelle devient chaque jour plus difficile et plus anormale, ce nombre semble diminuer encore. On a beaucoup parlé d’idéal, il est vrai, dans ces derniers temps, mais on ne parle jamais autant de bonne santé que dans la maison