Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après avoir cependant fréquenté, pour le rendre, tous les gredins de Milan. Chez M. Dagnan, l’incertitude a moins d’importance, puisqu’il a voulu surtout représenter la divinisation du Christ et la vocation de ses disciples ; il est clair que, s’il les eût cherchés, il eût trouvé facilement, dans notre heureuse civilisation, des chenapans aussi caractérisés que ceux de la Renaissance.

MM. Puvis de Chavannes et Dagnan-Bouveret représentent avec éclat, on le voit, au Champ-de-Mars, les plus hautes traditions de l’art ; on doit constater que leur exemple n’y est guère suivi. A part M. Delance, qui, dans ses peintures pour une église des Basses-Pyrénées, applique à des sujets rebattus une expérience habile et de réelles qualités de décorateur coloriste, personne ne semble s’y douter qu’un peintre peut avoir une occupation plus importante que celle de transmettre à la postérité quelque impression passagère produite sur des yeux sensibles et bien préparés par l’apparition rapide d’une ou deux formes vivantes sous un éclairage compliqué ou bizarre. Les études, intéressantes ou curieuses, dans ce genre, n’y sont pas rares, elles ont leur prix ; ce n’est pas toutefois par ces simples exercices que nous garderons notre suprématie. Au palais des Champs-Elysées, les compositions, à figures variées, grandes ou petites, se présentent, au contraire, en assez grand nombre. Le succès n’y répond pas, chez toutes, à l’effort, non plus que la qualité à la dimension. On peut même éprouver autant de pitié que de sympathie pour l’imprudence généreuse et désintéressée avec laquelle tant de jeunes artistes se précipitent en ces vastes aventures au risque de n’y récolter, à coup sûr, que les quolibets de la critique et le mépris des collectionneurs. Pour les étrangers, plus positifs, ces labeurs gigantesques et gratuits sont une cause d’étonnement, une cause aussi de respect et d’admiration pour notre école. En réalité tous ces efforts excessifs ne sont pas perdus ; il n’est guère de peintre en renom aujourd’hui qui n’y ait d’abord essayé et affermi ses forces dans sa jeunesse, comme il n’est guère de romancier ou d’auteur dramatique qui n’ait débuté par la poésie épique ou lyrique. C’est par des tentatives semblables que s’apprend l’art essentiel de la composition. Si nous perdions nos vieilles qualités de compositeurs puissans ou spirituels, poétiques ou élégans, si nous cessions d’appliquer aux arts plastiques le génie observateur et dramatique de la nation, nous pourrions courir le risque de nous trouver quelque jour fort désemparés vis-à-vis de nos rivaux du dehors souvent mieux doués que nous pour la hardiesse de la vision, le tour de main et la sensibilité.

Il faut bien nous prendre tels que nous sommes. Avant tout,