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VII

Au commencement de l’année 1895, l’état-major italien évaluait à quarante le nombre des canons de Ménélik. L’historique de cette artillerie n’est pas sans intérêt. A l’arrivée des Italiens en Erythrée, les Abyssins possédaient une trentaine de pièces de montagne conquises sur les Egyptiens, en 1875 et 1876. Ces pièces étaient déjà anciennes, mal entretenues, et les munitions manquaient. Ménélik disposait de quelques mitrailleuses légères, tirant des cartouches Gras, mais il ne connaissait que de nom les canons se chargeant par la culasse. La prise de Harrar, — ville musulmane intermédiaire entre le Choa et les établissemens français et anglais du golfe d’Aden, — lui livra deux canons Krupp de 9 centimètres. Ces deux pièces étaient neuves et leurs munitions abondantes. Ménélik les fit tirer devant lui. Ce fut comme une révélation. Il en ordonna le transport à sa capitale. Et, à partir de ce jour, il décida d’acquérir des canons en acier et de former des canonniers.

Lorsque le ras Makonnen se rendit en Italie, en 1885, il demanda, selon les instructions reçues, de l’artillerie de montagne, mais le gouvernement de Rome fit la sourde oreille, et ne voulut donner qu’une pièce ; celle-ci, apportée au Choa, servit à de nombreux tirs et fut promptement mise hors d’usage. Ménélik résolut alors de s’entendre directement avec des fournisseurs européens, qui ne demandaient qu’à servir sa passion pour les canons. C’est ainsi que, il y a trois ans, M. Chefneux, ingénieur français, porta au négus une quinzaine de petites pièces Hotchkiss à tir rapide, et que, peu de temps après, un autre Français, établi dans le Choa, M. Savouré, lui en procura un nombre égal[1].

  1. Ces canons sont en acier, et des calibres de 37 et de 42 millimètres.
    Le canon de 37 millimètres a une longueur de 84 centimètres et pèse seulement 33 kilos ; il peut lancer, à 1800 mètres, un obus de 455 grammes, avec une vitesse initiale de 402 mètres.
    Le canon de 42 millimètres pèse 55 kilos ; il lance un obus de 880 grammes avec une vitesse initiale de 425 mètres.
    Les pièces de 37 et de 42 millimètres ont le même affût, qui pèse environ 100 kilos. C’est dire que ce matériel est extrêmement léger.
    Dernièrement, lors de l’incendie des ateliers Hotchkiss, à Saint-Denis, près Paris, la presse italienne annonça le fait en déclarant que la fabrique de canons de Ménélik venait d’être détruite. Or, depuis sa fondation, la maison Hotchkiss a fabriqué près de 15 000 pièces, principalement pour le Japon, la Chine, le Chili, l’État libre du Congo, etc. Comme la fourniture faite aux agens du négus remonte à plusieurs années et ne consiste qu’en une trentaine de pièces, il est clair que le Choa n’a été qu’un client infime, et que le titre de « fabrique de canons de Ménélik » n’est qu’une exagération malveillante.