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à donner une impulsion nouvelle à la littérature d’imagination.

L’idée du scandinavisme, d’une union plus intime entre les trois peuples Scandinaves, après avoir soulevé tant d’enthousiasme et inspiré tant de dithyrambes, avait péri misérablement dans la guerre du Danemark, que la Suède n’avait pas pu aider dans sa lutte héroïque contre la Prusse et l’Autriche. Le mouvement libéral qui avait eu un roi pour instigateur et ses ministres pour chefs avait abouti à la réforme constitutionnelle, qui avait entièrement changé le système représentatif de la Suède, en remplaçant par deux Chambres électives la représentation par états. Les aspirations du libéralisme se trouvaient ainsi momentanément satisfaites, et c’était encore tout un courant d’idées qui s’arrêtait.

Survint alors la guerre franco-allemande, qui occupa tous les esprits. Quand ce fut fini, et que la tension des esprits put se calmer, le rayonnement littéraire de la France et de l’Allemagne resta quelque temps interrompu.

Alors s’élevèrent du côté de la Norvège des voix inattendues. Ibsen, Biörnson, Lie prêchaient une nouvelle doctrine, enseignant qu’il fallait considérer autrement qu’on ne le faisait la vie et les choses de la vie, l’âme et les choses de l’âme. Ces voix trouvèrent en Suède, comme en Danemark, un immense écho. En même temps, les théories de Darwin, de Stuart Mill, de Spencer et de Taine s’infiltraient dans tous les esprits, où les rejoignaient bientôt les doctrines plus négatives encore de Schopenhauer et de Nietzsche. Et chaque œuvre nouvelle d’Ibsen, de Biörnstierne Biörnson, de Jonas Lie, accentuait ces idées, suscitait un redoublement de passion.

Enfin de toute cette effervescence naquit une nouvelle école, avec de nouvelles tendances et des procédés nouveaux. Car, avec l’enthousiasme des néophytes et le penchant pour les extrêmes qu’ils tenaient de leur race, tous ces jeunes auteurs, qui accaparaient maintenant le mouvement littéraire, érigeaient d’emblée leurs théories en doctrines, allaient du positivisme à la négation absolue et à la fureur iconoclaste, et poussaient leur ardeur de réforme sociale jusqu’à vouloir l’anéantissement de toute contrainte morale. Partout et toujours ils opposaient l’individu à la société, la nature à la religion. Il n’y avait pas un principe si consacré qu’ils ne remissent en question.

Avec leurs exagérations et leurs paradoxes, ils ont eu cependant, en fin de compte, un grand mérite : tous ils ont reconnu et toujours affirmé la nécessité de s’attacher strictement à l’observation directe de la vie réelle.