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Tel que nous le montre son histoire, tel est encore aujourd’hui le peuple suédois. Energique, d’esprit aventureux, habitué aux brusques efforts, sans cesse il travaille à surmonter sa mélancolie naturelle, ce goût du rêve et de la contemplation que rien n’a pu jamais déraciner en lui. Sa passion pour les entreprises lointaines reste toujours aussi vive : témoin les expéditions au pôle Nord des Nordenskiöld et des Palander ; témoin encore le grand nombre de jeunes Suédois qui ont pris du service dans l’État libre du Congo, ou se sont enrôlés dans les dernières explorations de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Volontiers le Suédois s’expatrie en quête d’aventures ou d’une vie nouvelle. Des districts entiers des États-Unis sont peuplés de Suédois, qui ont là-bas leurs églises, leurs écoles, leurs imprimeries nationales. Ils continuent en Amérique, comme ils faisaient en Suède, à fêter les anniversaires de Gustave-Adolphe et de Charles XII, à chanter en chœur leurs hymnes patriotiques ; ils continuent à rêver au coin de lac bleu, à la noire forêt de sapins, à la petite maison rouge où ils sont nés. Et dès qu’ils en ont les moyens, ils reviennent visiter ces lieux qui leur restent chers ; mais rarement ils s’y fixent : de nouveaux intérêts, un nouveau besoin d’activité les rappellent là-bas.

Le patriotisme est très fort dans cette race, mais il a pour elle un caractère spécial. Les Suédois ne cessent jamais d’adorer le calme des grands lacs, la mélancolie des forêts, la douceur des vallées natales. Leur rêve s’y complaît : si éloignés qu’ils en soient, ils pensent aux moyens d’y retourner un jour. Mais leur activité naturelle, qui, dans leur patrie, à cause des inégalités du climat, était forcément intermittente, peut au dehors s’étendre, se développer librement.

Ainsi, — et pour ne parler que de ce point particulier, — la civilisation européenne n’a point modifié le fond du caractère suédois. Elle a en revanche profondément modifié les mœurs et les coutumes nationales ; et c’est là un nouveau contraste qui apparaît au premier coup d’œil dans l’état présent du peuple suédois. Lorsque la Réforme lui arrive d’Allemagne, par exemple, ce peuple ne se contente pas, comme la Prusse ou l’Angleterre, de constituer une église nationale : il pousse l’enthousiasme pour sa foi nouvelle jusqu’à vouloir la propager par les armes dans l’Europe entière. Plus tard, sous Gustave III, lorsque arrivent en Suède les théories des encyclopédistes, ce n’est pas seulement la cour et l’aristocratie, c’est la nation même qui s’en pénètre au point d’en être bientôt saturée. Auparavant déjà, l’introduction des nouvelles doctrines scientifiques avait amené en Suède un