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jablochkoff, lorsqu’un mécanisme ingénieux eut assuré sa marche. Ce mécanisme toutefois est incommode à dissimuler à cause de son volume, et l’armature compliquée de leviers et de freins, de vis, de taquets et de crémaillères est assez disgracieuse à l’œil.

De plus, la lampe à arc semblait ne convenir qu’aux vastes emplacemens, où sa puissance se développait à l’aise : 330 bougies pour le moins, soit 6 ampères, — suivant le vocabulaire nouveau des électriciens qui viennent de créer une langue à leur usage et ont baptisé du nom de savans illustres, Watt, Ampère ou Volta, les mesures de ces forces naguère inconnues. — L’électricité ne put s’introduire à l’intérieur de nos logis exigus que fractionnée dans les lampes à incandescence. Edison remarqua qu’un fil fin, par lequel passe un courant trop fort, s’échauffe, rougit, prend un éclat intense, puis se consume, en s’oxydant au contact de l’air. Il en conclut que, si le fil, enfermé dans un vase de verre hermétiquement clos où l’on aurait fait un vide parfait, était ainsi soustrait à l’influence de l’oxygène atmosphérique, il éclairerait toujours et ne brûlerait jamais.

Telle est la théorie fort simple de ces ampoules — homonymes modernisées de la fiole de Reims, dont l’huile sainte sacrait les rois — où resplendit un filament de bambou, une fibre quelconque, animée par le passage vivifiant du courant électrique.

Ces lampes si faciles à allumer et à éteindre, si propres et n’exigeant aucun entretien, ne donnant ni chaleur ni fumée et se plaçant partout, incrustées au plafond, dissimulées derrière une boiserie ou accrochées à quelque motif architectural ; d’une plasticité, d’une bonne volonté inépuisable, irradiant ici le sein d’un bloc de cristal, d’une grappe de raisins jetés sur une glace en forme d’appliques, rampent et s’allongent plus loin en guirlandes, au sommet d’une porte, illuminent ailleurs un feuillage de bronze doré, se cachent sous un pli d’étoffe, derrière un rebord de vitrine, et savent, en faisant tout voir, ne se point montrer elles-mêmes.

Quoi d’étonnant à ce que ces lampes exquises dont les Parisiens, en 1889, ne possédaient pas plus de 20 000, soient aujourd’hui au nombre de 350 000 dans la capitale, et à ce que la consommation d’électricité ait passé en cinq ans, de 150 millions à 1740 millions de bougies-heure ? Ce qui est étonnant, au contraire, c’est que le progrès ne soit pas plus rapide, que le gaz continue à être 15 fois et le pétrole 4 fois plus répandu que l’électricité. Cet écart diminuera sans doute ; mais, tant que la lumière électrique demeurera plus coûteuse que celle du pétrole ou du gaz, malgré tous ses mérites, elle ne les remplacera pas. « Pour