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appelle l’électricité. Tandis que la jaune lumière du gaz devenait blanche dans les becs Auer, la blanche lumière électrique devenait jaune dans les lampes Edison. En jaunissant elle plaisait aux femmes, surtout aux femmes entre deux âges, plus près du second que du premier, qui demeurent, comme on dit, « encore bien le soir. » Le soleil, et les lumières crues qui s’en rapprochent, s’harmonisent mal avec les plus jolies peintures sur peau humaine ; ils accusent malhonnêtement le plus humble nuage de poudre de riz. Du moment où l’électricité avait le savoir-vivre élémentaire de donner au teint féminin les tons qu’il fallait, elle pouvait être présentée dans le monde ; le beau sexe lui ferait accueil.

Et son suffrage était fort important pour un éclairage de luxe, comme celui des fils d’or magique, enfermés en des poires de verre, dont l’invention remonte à quinze années. Jusqu’alors on ne connaissait qu’une manière d’appliquer l’électricité à la production de la lumière : c’était de la faire jaillir entre deux baguettes de charbon, communiquant, l’une au pôle positif, l’autre au pôle négatif. Découverte en 1808 par Davy, grâce au courant issu d’une pile de Voilà, cette éblouissante étincelle fut nommée « arc voltaïque », et les appareils où elle brille aujourd’hui ont conservé le nom de « lampes à arc ». Il a fallu, pour les rendre pratiques, des efforts qui approchent du dernier terme du succès, sans toutefois l’atteindre encore. Voici trente ans à peine que, sur l’affiche des fêtes publiques, figurait orgueilleusement cette mention alléchante : « Lumière électrique ! » Déjà l’on obtenait avec économie, au moyen de machines spéciales, le courant d’abord fourni à grands frais par des piles encombrantes. Ces machines, M. Gramme les transforma (1869), et, utilisant les électro-aimans d’Arago et d’Ampère, construisit une merveille de rusticité, de rendement et de précision, le « dynamo », dont la puissance a décuplé de nos jours, sans que son organe essentiel ait varié.

La lumière ainsi produite, restait à trouver un moyen commode de s’en servir. Les deux charbons se consument comme des bougies à mesure qu’ils éclairent et, pour continuer à éclairer, il faut qu’ils conservent leur distance, que leurs extrémités se cherchent, s’approchent et ne se touchent pas. Faute d’un bon régulateur qui maintînt ce tête-à-tête perpétuel, d’où dépend la permanence de l’arc, un ancien officier russe, M. Jablochkoff, tourna la difficulté en accolant les charbons côte à côte dans les « bougies » qui portent son nom. L’effet était excellent, la dépense était trop forte ; l’électricité n’était pas assez « profitante » sous cette forme et la lampe à arc l’emporta définitivement sur le