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d’argent la même lumière ; le procédé n’est pratique que pour les becs d’un gros débit et ne réalise son maximum d’économie qu’avec une consommation de 1 000 litres à l’heure. Applicable aux réverbères et aux grands espaces, cette découverte n’offrait donc aucun avantage aux logis privés.

Ce fut alors qu’apparut l’éclairage par incandescence, dont les becs Auer offrent le type le plus connu. Au lieu d’employer le gaz à éclairer, on l’empêche, au contraire, en le mélangeant avec trois fois son volume d’air, de produire de la lumière ; l’on en tire exclusivement de la chaleur, comme dans un fourneau, pour porter au blanc un corps qui devient aussitôt lumineux. Le difficile a été le choix de ce corps, qu’il fallait inoxydable et indécomposable par le feu. Une matière nouvelle, le thorium, offrit les qualités nécessaires. On ne le trouva tout d’abord que dans une seule mine, en Autriche. Aussi ce sable, sans valeur jusque-là, monta-t-il rapidement à des prix inouïs. Il fut vendu jusqu’à 10 000 francs le kilogramme. C’est que la compagnie Auer s’était engagée, par contrat, à acheter, au prix de 1200 francs le kilo, l’ensemble des quantités extraites dont le monopole lui était d’ailleurs réservé. De nouvelles mines ont été ouvertes depuis quelques années ; le thorium est descendu dans le commerce à 300 francs, et, comme il n’entre pas pour plus de 0 fr. 70 de ce métal dans le manchon qui constitue l’élément de l’incandescence, les concurrens se sont multipliés. Le bec Auer ou ses imitations, qui n’en diffèrent que par leur prix, ont fait une révolution dans l’éclairage. Ils ont réduit au cinquième de ce qu’elle coûtait auparavant la lumière du gaz : les dix bougies-heure se contentent de 20 litres au lieu de 105 ; la dépense, au lieu de 3 centimes, n’est plus que de 6 millimes.

Ces manchons, semblables à un bonnet de tulle blanc, dont le bec est coiffé, ont commencé par être de petites manches de coton où le bras d’un enfant passerait, quatre fois plus longs et plus larges qu’ils ne deviennent ensuite. Trempée, après des lavages énergiques, dans une dissolution d’eau et de thorium, cette manchette est séchée au feu, ficelée à l’un des bouts et dressée sur un moule qui lui donne la forme conique. Après quoi, il ne reste qu’à la brûler, en exposant le manchon pendant quelques minutes à une flamme très chaude. Tandis que le coton se consume, l’étoffe se raccourcit, se resserre, et se rétrécissant peu à peu, change en même temps de nature : de végétale elle devient minérale. L’opération terminée, ce que nous voyons n’est plus qu’une toile métallique, si frêle qu’une chiquenaude la réduirait en poussière. Par sa fragilité, ce tissu artificiel, auquel les fils du