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centigrades, sans dépense, en traversant seulement une chambre dont les parois de brique ont été amenées au rouge, puis au blanc, par le passage des fumées du coke.

Aussitôt qu’il se dégage de la houille, le gaz d’éclairage doit être évacué hors des cornues. S’il demeurait dans cette atmosphère de 1 200 degrés où il prend naissance, il perdrait sa puissance lumineuse, parce que les myriades d’atomes de benzine, toluène, amylène ou autres carbures, répandus dans sa masse, que nous ne verrons pas, mais qui seuls nous éclaireront, brûleraient ici sans profit pour personne. On sollicite donc le gaz à venir dans les condensateurs ; on l’y contraint doucement par des pompes aspirantes — les extracteurs — qui agissent depuis la cornue jusqu’au jeu d’orgue. Ce dernier n’est autre chose qu’une rangée de minces tuyaux, qui se dressent en plein air à quelque distance des ateliers de distillation, sur la route que devra parcourir le gaz avant d’arriver aux épurateurs. A sa sortie des fours, ce gaz, dont chaque mètre cube est chargé de 175 grammes de goudron et mêlé à 23 centilitres d’eau ammoniacale, dépose, dans les premiers conduits où on le promène, la plus grande part de ces matières qui vont s’accumuler en des citernes souterraines. Il contient encore d’autres impuretés, comme la naphtaline, dont le débarrasse un refroidissement successif. On doit prendre garde, pour ne pas arracher le bon grain avec l’ivraie, de graduer la température de telle sorte qu’avec les mauvais élémens du gaz ne disparaissent pas les bons, les carbures qui donneront la clarté.

Les jeux d’orgues, ces tuyaux que le gaz doit parcourir un à un, montant et redescendant six fois de suite, continuent d’éliminer les corps étrangers. Il ne reste plus qu’à purger, par un laminage rapide et silencieux, de ses dernières molécules de goudron, le gaz rafraîchi par l’air en hiver, par l’eau glacée en été ; à le filtrer enfin dans une série de cuves, les unes pleines de sciure de bois humide, les autres remplies d’oxyde de fer, d’où il sort plus pur, dépouillé au passage des dernières traces d’acides nuisibles, digne de pénétrer dans le gazomètre, après avoir fait tourner un compteur géant. Là cette âme du charbon se reposera quelques heures, puis prendra le chemin de Paris, où elle sortira de son étui pour briller une seconde et rentrer dans le néant, abandonnant à l’atmosphère quelque vestige de gaz inerte et impropre à l’éclairage, que la nature utilisera un jour.

Les compteurs de Clichy sont au nombre de dix, ayant quatre mètres de long et autant de hauteur ; chacun suffit à alimenter 35 000 becs. La fabrication, marchant jour et nuit, est constante, nullement en rapport avec la consommation presque nulle à