Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

millions de mètres, — du gaz consommé à l’intérieur des fortifications. Le reste n’est cependant pas affecté à produire seulement de la lumière. Il existe nombre de fourneaux, de cheminées, de petits moteurs alimentés par le gaz. En supposant consacré à ces divers usages le gaz brûlé pendant « l’émission de jour », c’est-à-dire depuis l’extinction matinale des voies publiques jusqu’à l’heure de leur allumage, gaz dont la quantité forme près du tiers de la fabrication, les deux tiers restans, employés à l’éclairage, donnent encore un chiffre de bougies supérieur à celui que j’ai indiqué pour l’ensemble. Le calcul en effet est établi sur une dépense de 105 litres de gaz pour dix bougies-heure ; or cette dépense, exacte dans les becs ordinaires, est cinq fois moins forte ou, pour mieux dire, l’intensité lumineuse est cinq fois plus grande dans les becs du genre Auer. Il n’est pas possible de connaître le chiffre de ces manchons incandescens, actuellement en service chez les particuliers ; mais on peut affirmer que le supplément de clarté ainsi obtenu dépasse de beaucoup la somme du gaz affecté à d’autres destinations que la lumière.


III

Ce gaz de houille, que l’on croyait il y a quelques années si gravement atteint par les progrès électriques et menacé d’une chute prochaine, avait eu grand’peine en son temps à se faire accepter par le public. Deux phrases, à quatre-vingts ans de distance l’une de l’autre, peignent les difficultés qu’il eut à vaincre, autrefois, pour conquérir sa place, aujourd’hui, pour ne pas la perdre : deux phrases, dont la première condamne le gaz parce qu’il est trop jeune et la seconde parce qu’il est trop vieux. Et le plus piquant est que ces deux phrases n’en font qu’une ; elles sont identiques : « No gas used here ! » — « On n’emploie pas de gaz ici. » — Voilà ce que l’on lisait à Londres, en 1810, imprimé en gros caractères sur l’affiche d’un théâtre dont le propriétaire croyait, par cet avis, attirer plus de monde en rassurant les gens timides, partisans des quinquets, qui craignaient les explosions ou les asphyxies que la nouvelle lumière passait pour occasionner. Et voilà ce qu’on pouvait lire encore, en 1890, dans la capitale de l’Angleterre, sur une réclame qui recommandait aux voyageurs les avantages du Savoy-Hotel, exclusivement éclairé à l’électricité.

Depuis la découverte du gaz de bois, accomplie au début du siècle par l’ingénieur français Philippe Lebon, dont la vie, abreuvée d’amertumes, se termina par une mort tragique, une nuit de décembre, dans les Champs-Elysées déserts ; depuis que la veuve