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d’abord en tôle, placé à une certaine distance au-dessus de la flamme, puis en verre, lorsqu’il fut parvenu à faire exécuter dans les fabriques d’alors, fort rudimentaires, des cylindres de verre qui ne volassent pas en éclats dès la première impression de la chaleur.

Les principes sur lesquels était fondée la construction de ce porte-mèche n’ont pas varié jusqu’à nos jours ; elle-même cette « lampe à tringle » reparut, après une éclipse de soixante ans, dans sa pureté primitive, sous la forme de ces lampes nickelées, dites « anglaises », qui foisonnèrent il y a une douzaine d’années dans les salons, et ne disparurent que le jour où leur bon marché les eut de nouveau rendues méprisables. Les perfectionnemens introduits ont uniquement consisté dans la manière de faire arriver l’huile jusqu’au bec. Placée au milieu d’une pièce, sur la table de famille, la lampe d’Argand, par son réservoir latéral, interceptait une partie de sa propre lumière. L’une des combinaisons tentées pour satisfaire le public consista à loger l’huile dans une sorte de rigole, servant de supporta l’abat-jour et placée exactement à la hauteur de la mèche qu’elle alimentait par deux conduits. Ce système eut son heure de vogue, sous le nom ambitieux de « lampe astrale », jusqu’à ce que l’horloger Carcel fût parvenu à placer le réservoir sous la lampe.

Sur l’enseigne d’une modeste boutique de la rue de l’Arbre-Sec, dans les derniers mois de 1800, on lisait : « B.-J. Carcel, inventeur des lycnomènes, ou lampes mécaniques, fabrique lesdites lampes. » Après mille essais, où il perdait son temps, au grand désespoir de sa femme, Carcel avait imaginé une pompe minuscule, actionnée par un mouvement d’horlogerie, qui faisait monter l’huile depuis le fond du vase jusqu’à la mèche. Améliorées ensuite par Gagneau qui, au lieu d’une pompe, en mit deux, les lampes Carcel subsistent encore chez les partisans passionnés des méthodes antiques. Leur prix élevé, leur mécanisme fragile, exigeant des réparations délicates et sujet à des dérangemens périodiques, avaient incité depuis longtemps les gens modestes à abandonner les carcels pour les modérateurs. Cette dernière lampe, inaugurée sous Louis-Philippe, remplaçait les rouages de pendule de la précédente par la simple action d’un ressort à boudin agissant sur un piston. Elle est délaissée à son tour, usitée seulement dans les bureaux des ministères, après avoir éclairé la première moitié de vie de tout homme aujourd’hui dans l’âge mûr. Qui de nous, sauf les lampistes, dont l’espèce est décimée par le manque d’ouvrage, pourrait regretter ces machines qu’il fallait surveiller sans cesse, dont le lent allumage exigeait tant de patience, dont le charbonnage était si pénible, et le réglage,