Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/829

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui la grèvent, elle ne dépasse pas 1 fr. 20. L’huile était donc une lumière coûteuse dans un ménage rural ; pour l’épargner, le pauvre avait recours à la chandelle de résine piquée sur les landiers de fer. Cette résine, à 1 franc le kilo, éclairait assez la chaumière pour permettre de prier, de causer, de chanter om d’écouter des histoires. même, comme on ne veillait aux champs qu’en hiver et comme le bois, jadis, était aussi bon marché que le luminaire était onéreux, on se contentait souvent de la flambée du feu dans l’âtre. La résine servait aussi à éclairer les citadins dans les rues ; jusqu’à l’invention des lanternes publiques le bourgeois cheminait sa torche en main, le seigneur la faisait porter par son page qui le précédait.

Nos pères obviaient au prix énorme de la chandelle, que les épiciers actuels vendent 1 franc le kilogramme, tandis qu’elle se payait dans les siècles précédens 2 fr. 50 et 3 francs de notre monnaie, en la faisant aussi légère que possible. Il existait, à côté de la chandelle cossue, dite « des quatre », — c’est-à-dire de 4 à la livre. — la chandelle « des six », « des douze », voire « des seize » à la livre. La première était un peu plus grosse que notre bougie de stéarine ; la dernière était trois fois plus mince, chandelle de gueux, sorte de rat-de-cave, qu’il fallait moucher à tout instant. Ces chandelles étaient d’un jaune sale, couleur de vieille graisse ; on essaya plus d’une fois de les blanchir, mais un préjugé bizarre roulait que la chandelle blanche « ne fût pas autrement d’un bon usage » ; et d’ailleurs le gouvernement s’opposait à la création de qualités supérieures, que les marchands eussent cherché à vendre plus cher que la taxe. Car la chandelle était taxée et la vente du suif strictement réglementée. Mais la production du suif ne l’était pas ; aucune loi n’ayant été trouvée capable d’obliger, sous peine d’amende, les moutons et les bœufs à fournir une quantité raisonnable. Or les bêtes étiques d’autrefois, parcourant en foule des pâtures que l’on nommait « vaines », et qui étaient telles en effet, n’avaient souvent que la peau sur les os. Aussi les peaux se trouvaient-elles abondantes et les objets de cuir à bas prix ; mais la graisse faisait défaut et se vendait, séparément, jusqu’au double de la viande de boucherie. De là vient que les souliers étaient pour rien et que les chandelles étaient précieuses.

Les générations passées ont-elles souffert de cet état de choses ? Au moyen âge l’obscurité du soir ne devait pas apporter une bien grande gêne dans des maisons où, même en plein midi, on y voyait peu. Les fenêtres exiguës, garnies de toiles cirées ou de châssis de papier, mesuraient parcimonieusement le jour ; c’est que l’air entrait forcément avec la lumière, par ces ouvertures