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guère de famille qui ne soit représentée au temple, chaque dimanche, par un de ses membres, et pour 100 fidèles on compte annuellement 200 communions ; non loin de là, dans l’Ukermark, on cite telle commune de 1 500 âmes où le pasteur a 30 auditeurs ; et dans le Havelland la piété tombe également en désuétude. Un professeur de Berlin, qui conserve, pour l’avenir de l’Eglise évangélique, les plus fortifiantes espérances, et dont le fils et le gendre sont pasteurs, m’attestait par son expérience personnelle la diminution de la piété domestique dans les régions prussiennes qu’il connaît : on ne peut plus espérer, en frôlant les murs de certaines ruelles de village, surprendre l’écho de quelque lecture biblique, de quelque psalmodie commune, de l’un de ces exercices enfin (Hausandachten) par lesquels les vieilles familles protestantes s’élevaient volontiers vers Dieu. La province de Hanovre est d’une piété moyenne ; dans le Brunswick sommeille une indifférence qui confine à l’impiété. Les paysans sont plus que tièdes dans l’arrondissement de Magdebourg, assez dévots dans ceux de Mersebourg et d’Erfurt. Si l’on devait donner des rangs aux petits duchés saxons d’après l’état de la pratique religieuse, c’est Altenburg qui l’emporterait ; Meiningen et Weimar viendraient ensuite ; et tout à la fin, passablement indévots, Gotha et Cobourg. Le royaume de Saxe comporte une distinction : dans les campagnes où l’industrie s’est installée, l’office est négligé ; il est plus suivi dans celles où le paysan est demeuré un paysan.

Mais la pratique religieuse, là même où elle est le plus répandue, est trop souvent purement extérieure : elle n’a sur les mœurs qu’une influence très médiocre, sinon nulle. MM. Hückstädt et Wittenberg, pasteurs évangéliques, rapporteurs d’une récente enquête sur la moralité des campagnes prussiennes et saxonnes, s’attristent de cette conclusion : « Dans les régions les plus kirchlich. » disent-ils, l’immoralité est aussi grande ou presque aussi grande que dans les régions qui ne sont point kirchlich. » D’un opuscule de souvenirs personnels publié par le pasteur d’un village prussien, M. Paul Gerade, résultent les mêmes impressions attristantes. La situation matérielle des paysans, souvent très précaire, apparaît à beaucoup d’ecclésiastiques protestans comme la principale raison de cette sauvagerie ou de cette déchéance morale ; et c’est le commun intérêt des bonnes mœurs et de l’église évangélique qui dicte les revendications du pasteur Wittenberg et de ses amis en faveur des ouvriers agricoles. Mais à ces revendications, il semble que la hiérarchie suprême ne s’associe point, et qu’elle y serait plutôt hostile : ainsi l’exigerait, à défaut du pouvoir central, cette âpre et conservatrice féodalité, la Ritterschaft, souvent patronne des