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vilainement habillé par la mode du siècle passé ; plus loin la campagne commence. Entrez dans la basilique : vous croyez voir une arrière-garde polonaise, oubliée là, par mégarde, à la lisière du chef-lieu germanisé. Aux piliers de la nef s’accrochent de longues plaques de bronze, finement ouvragées ; le graveur a dessiné, sur chacune, une forêt d’arceaux gothiques, cadre élégant et subtil, dans lequel se profile l’image du mort, fièrement en pied, comme si le jour de la résurrection avait sonné. Les chapelles latérales ont l’aspect d’une nécropole ; par-dessus leurs tombeaux, des évêques de marbre sont couchés sur le flanc ; ils dorment, non point tout de leur long, de ce sommeil hiératique qui consacre la mort et semble faciliter l’essor de l’âme, mais presque courbés en deux, dans une sorte d’assoupissement ; leurs lourdes têtes mitrées, à demi dressées, à demi tombantes sur leurs poitrines, veulent retenir un dernier souffle de vie. Et puis, à l’un des piliers voisins du chœur, un tout petit monument est fixé : c’est le tombeau de l’archevêque Dinder ; sur le siège de Posen, la Prusse, après le Kulturkampf, voulut asseoir un Allemand ; elle choisit ce bon prêtre de Kœnigsberg, qui n’eut ni le temps ni le goût de rien déranger en Pologne, qui n’essaya point de dissocier l’une de l’autre les deux notions de catholique et de polonais, et qui, maintenant, seul agenouillé parmi tant de prélats reposant en cette enceinte, semble demander pardon pour son inoffensive intrusion.

Le catholicisme et la nationalité polonaise se recouvrent, s’enveloppent, s’identifient. Dans cette association, la religion trouve à la fois une force et une faiblesse. Sur le terroir même de Pologne, insigne est la piété. A Posen, sur cent catholiques quatre-vingt-treize font leurs pâques ; à la campagne, ce chiffre de sept défaillances paraîtrait un scandale. Les abstinences, les jeûnes, demeurent très sévères et très sévèrement pratiqués. Mais dans les âmes mêmes des Polonais, la racine catholique est parfois assez tendre : et gare à cette racine, lorsqu’ils émigrent. A Berlin, à Hambourg, à Francfort, si le journalier venu de Posen ne rencontre point un prêtre polonais, il risque fort d’être momentanément perdu pour l’Eglise. Il n’est point sûr de retrouver, en cet exil, le catholicisme authentique de sa Pologne ; la confiance lui manque ; en celui qui n’est point son compatriote, il ne voit, souvent, qu’un demi-coreligionnaire. Un prêtre prussien des environs de Berlin avait comme paroissiens un certain nombre d’ouvriers polonais ; il fit venir un missionnaire de Posnanie, pour leur prêcher ; leur assiduité fut admirable, leur enthousiasme débordant ; de toutes leurs oreilles, ils écoutaient cet apôtre, qui leur disait, dans leur langue, la confiance et le respect dus au clergé prussien ; à son départ, curé en tête, ils l’escortèrent