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ou par l’Ordre teutonique. Les bourgs ou cantons isolés, sorte d’oasis catholiques, qui font tache en pays protestans, sont en général de vieux domaines épiscopaux : Geisa, par exemple, aujourd’hui doyenné catholique dans le protestant duché de Saxe-Weimar, appartenait à l’évêché de Fulda. Pour expliquer la genèse de l’Allemagne religieuse actuelle, le spectacle de la Prusse orientale est spécialement instructif ; le diocèse d’Ermeland, qui la régit, comprend une enclave catholique, dont Braunsberg est la grande ville, et une vaste région, presque entièrement évangélique, dont Kœnigsberg est le centre. L’enclave est formée par les terres de l’ancien évêché : devant le palais épiscopal de Frauenburg, posté sur une éminence qui domine la Baltique, deux petits canons sont installés, aussi pacifiques, aujourd’hui, que les agneaux porteurs de bannières, dont leur culasse est ornée comme d’une armoirie ; ils rappellent l’époque où les prélats d’Ermeland avaient le sceptre en même temps que la crosse, et qui finit au premier partage de la Pologne. La fidélité de ces évêques à l’église romaine permit aux sujets de rester catholiques ; Albert de Brandebourg, à leurs portes, faisait du duché de Prusse une terre protestante. Partout en Allemagne, les anciens maîtres ont gardé sur les consciences une prise posthume ; sur le système de correspondance entre les hommes et Dieu, ils ont pour longtemps marqué leur empreinte ; et la confession chrétienne dont ils décidèrent le règne continue de régner, même sans leur dynastie. Tant bien que mal, on a pu niveler le sol de l’Allemagne politique ; mais on n’a point obtenu que le sol de l’Allemagne religieuse cessât complètement d’être raboteux.


II

Que le XIXe siècle en ait atténué les aspérités, cela d’ailleurs est indéniable. Si, prenant deux cartes d’Allemagne, on y marquait, à l’aide de couleurs variées, le domaine des confessions en 1750 et en 1896, on constaterait, sans doute, une parfaite analogie quant à la disposition des masses coloriées ; mais la carte de l’Allemagne contemporaine comporterait des nuances plus amorties, des teintes moins accentuées, des couleurs moins décisives et moins sûres d’elles-mêmes. On indiquerait, par ce commencement de dégradation, que l’homogénéité des anciens noyaux religieux n’est point demeurée intacte et que les unanimités d’autrefois, catholiques ou protestantes, descendent à la situation de majorités. Munich, Cologne, Fribourg-en-Brisgau, étaient au début du siècle des villes purement catholiques ; la première,