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I

La paix d’Augsbourg reconnut aux souverains dans les principautés, aux majorités dans les villes libres, le droit de changer de religion ; elle accordait la liberté de conscience aux détenteurs du pouvoir, et à eux seuls. L’absolutisme laïque alla croissant. Les sujets et les minorités durent confesser et prier Dieu comme la puissance temporelle voulait qu’il fût confessé et prié ; la conscience de l’individu, sauf tolérance, dut refléter strictement la conscience de l’État ; si le prince oscillait entre des confessions rivales, il pouvait exiger que les âmes de son peuple oscillassent, tout comme la sienne, et la fidélité à un dogme devenait coupable, si de ce dogme le prince se détachait. Le droit public de la vieille chrétienté défendait à tous, grands et petits, l’apostasie ; les maximes nouvelles permirent aux puissans, suivant les évolutions de leur esprit ou de leurs caprices, non point seulement de défendre, mais d’ordonner des changemens de confessions. Promoteurs de la réforme au XVIe siècle ou serviteurs de la contre-réforme au XVIIe, nombreux furent les souverains allemands qui exploitèrent cette permission. Cuuts regio, ejus religio, tel était l’adage ; pris au pied de la lettre, il signifiait que la sujétion d’un homme à une souveraineté temporelle impliquait et devait entraîner, sauf licence spéciale, son obéissance spirituelle, soit au pape, accepté par le prince, soit au prince, « pape en ses terres. »

C’est au nom de ce principe que, deux siècles durant, de 1556 à 1750, la carte religieuse de l’Allemagne fut remaniée. Un certain nombre d’âmes mystiques, d’une beauté et d’une pureté achevées, avaient salué dans la Réforme les noces d’argent du Christ avec son Eglise, qu’il voulait faire plus sainte pour la rendre plus digne de lui ; elles y avaient applaudi, aussi, un réveil intense de l’initiative religieuse. L’illusion fut courte, le réveil bientôt assoupi ; la crise religieuse qui travaillait l’Allemagne se vint dissoudre en une période d’engourdissement, qui dura jusqu’au XVIIIe siècle. Dans chaque petit État de l’empire, la foi, au lieu de fermenter dans les âmes, se superposait à elles. En dépit des doctrines mêmes de Luther, elle n’était plus un mouvement et un produit de la conscience, mais comme une livrée que le prince imposait au sujet. La religion descendait d’en haut, non point, comme au moyen âge, d’une colline lointaine, le Vatican, cime religieuse par essence, assez élevée d’ailleurs et d’un assez vaste rayonnement pour ne point écraser ceux qu’elle abritait,