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Beaucoup, ne voyant dans cette conduite qu’une immense entreprise de popularité, supposaient que Simon affectait des doctrines acceptées dans des partis différens, pour étendre sa clientèle. Les sots croient volontiers qu’un homme supérieur n’est dupe de rien, pas même de ses principes, et en celui-ci la personne physique était comme un faux témoin de la personne morale. Les modulations, les chevrotemens, les artifices d’une voix qu’il avait dû conquérir sur la nature, les expansions caressantes d’une grâce un peu féline, l’extrême finesse du regard qui exprimait à la fois toutes les diversités d’une même pensée ou d’un même sentiment, la mobilité du visage et des attitudes au gré de chaque impression, prêtaient aux observateurs peu attentifs autant d’apparences pour croire que Jules Simon se donnait en grand artiste la comédie de la vie.

Le juger ainsi était le méconnaître. Le désir légitime d’étendre son influence, une sensibilité de femme qui lui rendait douloureux de contredire et nécessaire d’être aimé, une ingéniosité d’esprit qui trouvait les synthèses ou tout au moins les parties neutres des doctrines adverses, une fécondité de ressources qui lui ouvrait des solutions où d’autres se heurtaient à des obstacles, le disposaient à transiger, à céder, à patienter, à dissoudre les difficultés plus qu’à les vaincre, à les enlacer de sa souplesse et à les étouffer doucement. Mais cette extraordinaire ductilité de la conduite n’était à aucun degré le scepticisme de l’intelligence. Précisément parce qu’il n’avait pas construit ses idées premières en politicien mais en philosophe, elles étaient solides, et sa certitude qu’elles l’étaient le rendait plus facile aux manèges et aux petites capitulations, comme ces femmes vertueuses qui, sûres de leurs principes, ne se refusent pas aux coquetteries. Et qu’un jour arrivât où il vît directement attaqués ces principes essentiels, et où il lui faudrait choisir entre leur défense et sa popularité, il n’hésiterait pas à sacrifier ses intérêts et sa personne à l’intérêt de la France et de la vérité. C’est dire qu’il possédait la qualité maîtresse de l’homme d’Etat. Le pouvoir allait achever de l’instruire, lui enlever ses illusions sur les formules et sur les partis, lui montrer succédant aux abus de l’autorité, les excès de l’anarchie, et achever en lui un des hommes les plus aptes à conduire les autres. Mais au 4 Septembre, il lui restait à acquérir cette expérience, il n’était pas prêt à la donner.


Tandis qu’en Jules Simon la fermeté des principes était comme dissimulée sous la souplesse de la nature, en Jules Ferry la qualité maîtresse était l’énergie violente de la volonté. Une