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ces minorités actives, et que si, au contraire, il obtenait leur concours, il pouvait, sans péril, tenir peu compte du sentiment général. Il ne leur échappait pas que la monarchie s’était appuyée sur deux puissances : l’armée et le clergé. Eux ne pouvaient employer l’armée, puisque l’armée, composée et commandée comme ils l’entendaient, ne serait plus une force distincte de l’opinion ; ils ne pouvaient faire appel au clergé, puisqu’ils tenaient le catholicisme pour une force ennemie et dont il fallait hâter la fin. Ces deux puissances éliminées, il ne restait de vivantes que trois autres : une puissance irréligieuse qui, par l’activité, le secret et la discipline de la franc-maçonnerie préparait une révolution dans la morale ; une puissance socialiste qui, par l’Internationale, tenait assemblée une partie des ouvriers, et préparait une révolution dans la propriété ; une puissance démagogique, cachée dans les sectes de conspirateurs, et qui préparait une révolution dans le pouvoir. Les jeunes membres du gouvernement redoutaient moins le concours que l’hostilité de ces puissances. Ils étaient disposés non à les satisfaire complètement et à leur céder la place, mais à les ménager assez pour en obtenir crédit, et tout en défendant la masse du pays contre les dernières exigences de ces minorités menaçantes, se faire défendre par celles-ci contre toute tentative d’un régime plus conservateur.


Enfin, qu’ils appartinssent à l’une ou à l’autre génération, tous ces députés appartenaient à Paris. Cette commune origine, les habitudes de leur vie, les sympathies de leur intelligence, les intérêts de leur ambition, faisaient d’eux les hommes liges de la capitale. Paris les investissait plus étroitement qu’il n’allait être assiégé lui-même : qu’il s’agit de la guerre à soutenir ou du gouvernement à fonder, les désirs, les craintes, les applaudissemens, les colères, l’honneur de Paris leur seraient plus proches et plus impérieux. La voix de la nation ne leur parviendrait qu’assourdie par l’atmosphère, dominée par les rumeurs, dénaturée par les passions de l’énorme ville. Il était à craindre que Paris leur interceptât la France, et dominât leur volonté même. Or c’est à Paris que le mouvement irréligieux avait ses chefs et la franc-maçonnerie son centre ; à Paris que l’Internationale avait mis la plus grande masse de prolétaires au service des revendications socialistes ; à Paris que la faction démagogique tenait sur pied les groupes les plus déterminés aux excès. Dans un tel milieu, les modérés du gouvernement devaient perdre de leur modération, et les violens se croire presque sages.