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l’Eglise en effet devint le grand sujet d’étude, de curiosité et de malveillance. Beaucoup, parmi les maîtres de l’intelligence française, se donnèrent des airs d’être libres en attaquant ce qu’ils pouvaient fronder sans péril. Les uns rajeunirent la tactique du XVIIIe siècle et les impertinences de l’ironie ; d’autres empruntèrent à la moderne Allemagne des armes qui, plus lourdes, semblaient plus solides ; d’autres étouffèrent le respect des choses saintes sous les caresses d’un style souple comme un lacet, et profanèrent l’hostie avec des gestes de prêtre. Ainsi se répandit sur la France une atmosphère d’incrédulité, que respira la génération nouvelle. Mais ce n’était pas assez pour celle-ci d’entendre et de lire, elle aspirait à échanger ses idées. L’empire y pourvut lorsque, dans cette France où les citoyens n’avaient le droit ni de s’associer ni de se réunir, il autorisa la vieille ennemie de l’Eglise, la franc-maçonnerie, à ouvrir ses logos. Elles s’ouvrirent au milieu des villes muettes, comme des lieux d’asile pour l’indépendance de l’esprit ; seules elles offraient de la vie et de la sécurité à ceux des jeunes hommes qui voulaient rompre le silence et la solitude des idées. Elle les attira par une force de monopole. Ils s’y réfugièrent, comme les premiers chrétiens descendaient aux catacombes, pour être libres sous cette terre dont toute la surface adorait César ; mais dans ces catacombes nouvelles César était maître et elles ne devaient servir qu’à la lutte contre Dieu. Tandis qu’ils venaient à la franc-maçonnerie sur son vieux renom de liberté politique, elle les forma à l’incrédulité religieuse ; son grand dessein et le seul qu’elle eût licence de poursuivre. Beaucoup n’avaient d’autre grief contre le catholicisme que son alliance avec l’empire ; elle fit pénétrer en eux la croyance que cette alliance était indestructible, elle les persuada que le catholicisme, par le nombre de ses adhérens, la force de sa propagande, l’étendue de ses prises sur la volonté, le cours logique de son histoire et l’ensemble de ses dogmes, est la plus redoutable puissance du monde, la racine nourricière de tout despotisme, et que celui-ci ne périrait jamais si celle-là n’était coupée. Le propre de la jeunesse est d’accepter les idées avec docilité et de les défendre avec violence. Ses ardeurs comprimées s’élancèrent par la seule voie qui lui fût ouverte. Bientôt la logique des négations l’entraîna, puis la vanité d’aller plus loin, toujours plus loin. Ainsi toutes les étapes de la négation morale furent franchies et ces jeunes esprits mesurèrent leur puissance à l’étendue des ruines qu’ils faisaient en eux-mêmes. Le principe d’autorité condamné avec le catholicisme, les croyances à un Dieu créateur, à une destinée immortelle vacillèrent comme de pures hypothèses,