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le grade des insultés, par une croyance folle à la trahison. Une représaille tardive des invasions commises dans la politique par l’armée livrait maintenant l’armée à des juges politiques.


II

Les chefs du nouveau pouvoir étaient moins d’accord sur la manière de gouverner que de combattre. Tous républicains, ils n’entendaient pas, par le mot de république, les mêmes choses, et se trouvaient comme divisés par l’âge en deux groupes, tant il est vrai qu’on est d’un temps avant d’être d’un parti.

Les plus nombreux parmi ces fondateurs de la troisième république semblaient surtout les revenans de la seconde. Leur notoriété datait d’elle : ils en représentaient la générosité naïve, la philanthropie déclamatoire, l’attachement à l’essentiel de l’ordre social. Ils avaient foi dans la souveraineté de la nation, respect pour l’indépendance des citoyens, éloignement pour toute oppression et presque autant de répugnance à l’exercer qu’à la subir. Ces doctrines étaient celles de l’heure où ils avaient formé leurs idées. Ils avaient atteint l’âge d’homme sous la monarchie de Juillet, lorsque nul ne contestait à la France le droit de se gouverner elle-même, et qu’en fait la nation possédait la plénitude de la vie parlementaire. Entre le gouvernement et les plus hardis démocrates il y avait désaccord non sur le principe, mais sur l’extension de la souveraineté nationale, et assez de doctrines communes pour amortir la violence des dissentimens. Les révolutionnaires s’apaisaient à considérer dans les institutions qui leur déplaisaient la faiblesse d’un illogisme, et sentaient les événemens glisser en pente douce de la monarchie à la république. La multitude pour laquelle ils réclamaient le droit de suffrage était leur cliente, et ils ne doutaient pas que, le jour où elle parviendrait à la vie publique, elle n’adoptât les opinions de ses libérateurs. Les classes censitaires, tout en résistant aux poussées trop hâtives, ne dissimulaient pas leur sympathie intellectuelle pour les réformes dont leurs intérêts avaient peur, disaient « plus tard » et non « jamais ». Les catholiques mêmes, qui sous les Bourbons étaient la force du gouvernement et l’horreur des libéraux, avaient passé sous Louis-Philippe à l’opposition, et toutes les oppositions se ménagent. D’ailleurs les républicains, avec l’Eglise comme avec l’Etat, avaient certaine communauté de doctrines : la plupart d’entre eux s’étaient soustraits à l’autorité catholique, mais presque tous gardaient leur foi à la religion naturelle, à un créateur tout-puissant et juste, à une vie future, et nul d’entre eux