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outrance concluaient qu’il suffit d’avoir intérêt pour avoir volonté et aptitude, et, sans prendre garde qu’ils devenaient mauvais logiciens, ils supposaient l’homme un être de pure logique. Comme s’il dût se battre par raison démonstrative, ils pensaient que, tous les sentimens générateurs du courage lui étant enseignés par sa vie ordinaire, il n’était pas besoin de moyens factices pour développer en lui des vertus naturelles, et que c’était assez d’armer le citoyen pour avoir le soldat. Comme si l’intelligence de tout ce qu’il y a à sauvegarder par la victoire suffisait à donner la divination des chefs les plus capables de vaincre, ces novateurs, accoutumés par leur vision toute politique des choses et par leurs propres succès, à tenir le vote pour le témoignage suprême de la confiance, croyaient accroître la force de l’autorité en décernant les grades au suffrage. L’armée était donc la nation offensée, debout tout entière contre l’ennemi, transportée sur les champs de bataille avec son esprit public, ses mœurs ordinaires, ses vertus et ses énergies civiles, d’autant plus forte que ses citoyens auraient plus de droits à sauvegarder, et la démocratie la plus libre devait être la plus invincible.

Tout confians fussent-ils dans les théories, s’ils n’avaient eu qu’elles pour garant de leur réforme militaire, ils auraient hésité peut-être à condamner, sur la foi d’une thèse, une organisation consacrée par l’expérience et le consentement général. Le patriotisme leur eût objecté que nul système militaire ne vaut en soi, qu’il vaut par comparaison avec les dangers à repousser ; que le jour où tous les peuples, en adoptant la milice, se seraient allégés de leur plus lourde charge, la proportion naturelle de leurs forces serait maintenue sous une forme nouvelle ; mais qu’au XIXe siècle, si la démocratie avait mis en quelques États son génie pacifique, d’autres, aristocratiques ou absolus, gardaient la vieille cupidité de la gloire violente ; que les généreux devaient donc pour leur sûreté conserver les armes considérées comme les plus efficaces par les nations de proie ; et que la nation assez confiante pour innover sans être sûre si le changement lui laisserait la force, courait risque de devenir, au lieu d’un exemple, une victime. Mais les républicains croyaient précisément que cette réforme avait fait ses preuves. La légende révolutionnaire et la connaissance superficielle des guerres contemporaines leur permettaient d’appeler l’histoire en témoignage. Les volontaires de 1792 n’avaient-ils pas fait reculer les soldats du grand Frédéric, et la levée en masse n’avait-elle pas battu les troupes qui passaient pour le modèle des armées de métier ? Presque en même temps que les lois nouvelles de la guerre furent révélées au monde