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moyens de lutte avec une âme sans haine, et pour eux la meilleure organisation militaire était celle qui menaçait le moins la paix. Pour les armées de métier, l’état normal est la guerre ; là seulement elles trouvent leur raison d’être et leur récompense ; elles poussent par la loi de leur origine aux conflits. Toujours prêtes, toujours impatientes, toujours dangereuses à mécontenter, elles sont une tentation permanente de violence pour les pouvoirs ambitieux ou faibles, et pour les peuples qui assistent au choc sans le soutenir et se battent par procuration. Quand une levée nationale appelle tous les citoyens à prendre une part personnelle aux discordes des Etats, chaque campagne menace chaque homme dans sa sécurité, ses habitudes, sa profession ; là, tous les intérêts particuliers, avec la puissance d’une passion générale, conspirent incessamment contre la guerre. Telle était l’origine philosophique de l’adhésion donnée par les républicains au service obligatoire et universel. Et d’accord avec leur philanthropie, leur conscience leur disait qu’établir entre tous les fils de la patrie l’égalité du plus grand devoir et de la plus lourde charge, c’était faire une œuvre d’équité.

Ils ne doutaient pas davantage qu’ils n’eussent aussi et par surcroît créé la meilleure des armées. S’ils en avaient vu de près une seule, compris quel triomphe sur la nature est le changement d’un homme en soldat, et conclu que pour obtenir cette victoire, mère de toutes les autres, il la faut préparer par un difficile effort, leur réforme, accroissant le nombre des soldats à instruire, n’eût pas abouti à une réduction, mais à une extension des charges militaires. Leur inexpérience du problème leur avait épargné ces constatations impopulaires. Le nombre est un élément de la force, ils avaient besoin de croire que le nombre est toute la force ; leur habitude de raisonner où il eût fallu s’instruire les avait conduits à cette foi par des sophismes. Selon eux, le service long et l’obéissance passive étaient des nécessités spéciales aux armées de métier : pour rendre aptes à combattre et à mourir des hommes soustraits perpétuellement aux opinions, aux désirs, aux activités des autres hommes, et étrangers par leur vie aux intérêts qu’ils protègent, l’habitude et une discipline de fer n’étaient pas superflues. Elles devenaient superflues avec les armées de citoyens : le citoyen, partie de la souveraineté, bénéficiaire de tous les avantages qui grandissent et déclinent avec la prospérité publique, atteint par la guerre dans tout l’ordre de ses activités ou de son repos, a tous les motifs de faire vigoureusement campagne, et de reconquérir sa propre indépendance en défendant celle de la patrie. D’où ces raisonneurs à