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aventuriers, des gens suspects ou tarés, que les bons ouvriers font là-bas de bonne besogne. Ce jeune colon, doté par sa famille et préparé de loin à sa nouvelle vie, ne peut manquer de réussir. Il paiera sa dette à l’humanité en fournissant de l’ouvrage aux émigrans sans capital. Le parfait égoïsme est la plus vaine des utopies ; quoiqu’il en ait, bon gré mal gré, il fait toujours des heureux.

Ce n’est pas seulement l’argent qui manque souvent aux émigrans ; ils ont besoin d’informations sûres et précises, de bons conseils, et ils ne savent pas toujours où les trouver. Les colons grecs ne s’embarquaient jamais sans avoir consulté la Pythie et Apollon, dieu de la lumière. Les prêtres attachés au service du sanctuaire de Delphes étaient gens avisés, ils profitaient des relations qu’ils entretenaient avec les peu-pies étrangers, des intelligences qu’ils avaient partout, pour se procurer des renseignemens utiles, dont ils faisaient part aux émigrans. On ne trouvera pas de Pythie au n° 16 de la rue Choiseul ; mais les fondateurs du Comité Dupleix ont pris leurs mesures pour que, comme l’oracle de Delphes, il fût un bureau de renseignemens et de statistique coloniale. Il demandera des informations précises et pratiques à ceux qui ont vu, et surtout qui ont fait ou essayé quelque chose, mis La main à la pâte. Il s’adressera aux résidens, aux administrateurs, aux missionnaires, aux militaires, aux marins, aux explorateurs. Il aura des correspondans dans les colonies françaises et étrangères ; il confiera des missions d’étude à des voyageurs triés sur le volet : « Nous nous efforcerons aussi, ajoute-t-on, de mettre en rapport les hommes à idées avec ceux qui sont aptes à réaliser ces idées ou à les soutenir de leurs capitaux. Tel est le programme d’une œuvre d’intérêt national, à laquelle s’associeront sans doute les Français qui regrettent que les forces perdues dans la métropole ne soient pas utilisées pour la prospérité de nos colonies. »

C’est fort bien, et assurément c’est faire une bonne œuvre que d’éclairer, encourager ceux qui ont la vocation ; mais il n’importe pas moins de décourager ceux qui ne l’ont pas et croient l’avoir, et personne n’en est plus convaincu que le secrétaire général du Comité Dupleix. L’oracle de Delphes a dit à un homme qui ne songeait pas à coloniser : « Connais-toi toi-même. » Ce sont surtout les émigrans qui sont tenus de se connaître, car les fausses vocations sont le fléau des colonies, dont les mauvais colons compromettent « le crédit moral » par leurs inévitables malheurs. Il en est dans le nombre de fort honnêtes qui ont toutes les bonnes intentions ; mais il leur manque cette constance dans le vouloir que ne rebutent ni les premiers échecs ni les rigueurs d’un long apprentissage. On raconte qu’un sergent bien noté, libéré du service, à qui l’on avait confié une somme « pour faire des moutons » sur les hauts plateaux algériens, n’a pas réussi du premier coup, que désespérant du succès, il lâcha pied, abandonna la partie : « Lorsque