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L’Anglais prend facilement son parti des injustices qui servent à quelque chose. L’expérience lui a appris qu’il est des abus utiles ; il ne les réformera que le jour où ils deviendront dangereux et malfaisans. Justes ou injustes, les meilleures institutions sont à ses yeux celles qui lui paraissent les plus propres à stimuler toutes les activités humaines, celles qui faisant produire à l’homme tout ce qu’il peut donner, augmentent le rendement du grand troupeau. Il ne dira jamais : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Le vrai colon n’est pas le déshérité, vaincu par le malheur, que font sortir de son bouge la misère noire et la folle espérance de quelque butin miraculeux, mais l’homme sain et fort, qui, disposant de quelques ressources qu’il se flatte de décupler par son travail, a le goût et la faculté d’entreprendre. Les Anglais savent que les capitaux et les capitalistes sont le nerf des colonies, et ils ne négligent rien pour les attirer.

L’auteur du Guide de l’éleveur nous apprend qu’en 1861 la législature de la province de Sydney a introduit un mode d’acquérir la terre connu sous le nom d’acquisition conditionnelle ou au choix, qui permet d’acheter dans des conditions très favorables. Le postulant est autorisé à choisir lui-même son terrain ; on met à sa disposition 40 acres au moins, 640 au plus. Il a jeté son dévolu sur les terres qui lui semblaient les plus riches ; peut-être a-t-il trouvé quelque coin inoccupé sur les bords d’une rivière navigable. Assuré de posséder un royaume à son goût et à sa mesure, il se rend au village le plus voisin et présente sa demande officielle au commissaire du gouvernement. Il paiera sur-le-champ la somme de 5 shellings par acre, c’est-à-dire le quart du prix fixé ; il liquidera à sa convenance les 15 autres shellings, en payant les intérêts à raison de 5 pour 100 par an ; il a vingt ans pour s’acquitter. Le géomètre de l’État a tracé les limites de la nouvelle ferme, le colon est devenu propriétaire. Mais on n’entend pas qu’il soit un propriétaire fictif. Deux obligations lui sont imposées : il est tenu de résider sur son terrain et d’y faire des améliorations de la valeur d’une livre par acre. En revanche, on lui concède un important privilège : il a le droit de libre parcours sur les pâturages qui avoisinent sa ferme, dans une étendue trois fois grande comme cette ferme. Il peut la clore et la tenir pour sienne. Au droit de pâture s’ajoute le droit de préemption ; a-t-il acheté du premier coup un lot complet de 640 acres, libre à lui d’en posséder 1 920. C’est ainsi qu’on stimule son ambition et son zèle ; on exige qu’il améliore, on l’invite à s’arrondir. Au-dessus de seize ans, chacun de ses enfans a part à son privilège.

L’éleveur australien nous le dit, ces statuts ont été édictés dans l’intérêt du colon sérieux, des cadets qui ont du foin dans leurs bottes, et aussi pour amorcer les gentilshommes déchus : « Les membres de notre aristocratie coloniale ne trouvent pas indigne de leurs loisirs de gérer une propriété de 5 000 ou de 10 000 acres. Les diverses législations