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repos, Ἀρχὴ ὠδίνων γ’ ἕνεϰεν (melitoessa, aethlôn g’ heneken). La franchise de cœur et la gracieuseté, et la confiance ininterrompue et l’amour partagé, et la vue de la paix des autres, et la part prise à leurs peines, toutes ces choses et le ciel bleu au-dessus-de vous, et les douces eaux, et les douces fleurs de la terre au-dessous, et les mystères et les présences innombrables des choses qui vivent, peuvent encore être vos richesses ici, — richesses sans tourmens et divines, pleines de ressources pour la vie qui est présente et peut-être point sans promesses-pour la vie qui est à venir[1].


IV

Toutes ces paroles sont bien de notre temps. Elles en ont la curiosité analytique, les images cosmopolites, la tendresse humaine. Une autre époque ne les eût ni inspirées ni comprises. Si l’on examine en effet, d’une part, quelles sont les trois grandes caractéristiques de la vie que nous vivons, on trouvera qu’elle est plus savante que celle de nos pères, c’est-à-dire qu’elle recherche davantage les raisons de ses impressions, qu’elle est plus cosmopolite, c’est-à-dire qu’elle se colore de souvenirs glanés en plus de pays divers, et qu’elle est plus sociale, c’est-à-dire plus hantée par les rapports des classes entre elles et plus sensible à leurs peines de vivre comme à leurs désaccords. Si, d’autre part, nous résumons les impressions que nous laisse la critique ruskinienne, comparée à la critique d’art ordinaire, nous nous apercevrons qu’elle va plus loin dans l’examen minutieux des œuvres, qu’elle prend ses exemples en plus de pays et plus de paysages et qu’elle est mieux pénétrée du sens social de l’art, et de ses obscures affinités avec la vie des foules. Et par ces trois côtés, qui sont les plus apparens de son œuvre, l’homme de Brantwood apparaît non comme un écrivain d’hier, mais comme un écrivain d’aujourd’hui et mieux encore de demain. Chaque jour qui s’écoule, comme une fouille qui tombe, laisse voir davantage de son ciel. Parce que notre vie est de plus en plus analyste, voyageuse et inquiète, parce que nous avons de plus en plus d’informations, d’images et de pitié, nous nous sentons plus de sympathie pour sa science, pour son tourisme et sa sociologie. Ceux qui, trompés par ses aspects lakistes et loyalistes, l’appellent « suranné » n’ont compris ni son œuvre ni notre vie. — Sans doute il y a eu de tout temps-des analystes de la nature et de l’art, mais il n’ont pas été servis de tout temps par les outils et les documens de la science ou de la critique historique contemporaines. Il y a eu de tout temps des artistes, mais ils n’eussent pas toujours pu choisir leurs exemples-dans tous les musées de l’Europe, étudier les teintes de tous les

  1. The Crown of Wild Olive.