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Sienne par exemple, du côté urbaniste, le bienheureux Pierre de Luxembourg et saint Vincent Ferrier du côté clémentin, il y eut, de part et d’autre, beaucoup plus d’esprits convaincus qu’on ne le croit généralement. Plusieurs souverains ne se déclarèrent pour Clément VII qu’après avoir cherché très consciencieusement à s’éclairer sur l’illégitimité de son adversaire.

Enfin, prêt à paraître devant Dieu, Charles V protesta une dernière fois de sa sincérité en même temps que de sa soumission à l’Eglise. Quelques heures avant sa mort, épuisé par une nuit d’étouffemens, déjà méconnaissable, mais roi jusqu’à son dernier souffle, il voulut quitter son lit et, assis sur une chaise longue, pouvant à peine supporter quelques vêtemens, devant des évêques, des barons, des conseillers formant un rassemblement analogue à ces grandes entrées auxquelles Louis XIV mourant adressa, trois siècles plus tard, de si nobles adieux, il employa ce qui lui restait de voix à remercier ses fidèles, à prendre quelques suprêmes mesures concernant les finances, et surtout à exposer longuement, sans jactance comme sans regrets, sa conduite dans les affaires du schisme. « Si l’on dit jamais que je me suis trompé, — ce que je ne crois pas, — mon intention, sachez-le bien, est d’adopter et de suivre toujours l’opinion de notre sainte mère l’Eglise universelle ; je veux obéir sur ce point au concile général ou à tout autre concile compétent qui pourrait statuer sur la question. Dieu veuille ne pas me reprocher ce que j’ai pu faire, à mon insu, contre cette décision future de l’Eglise ! Il suffirait ici pour fermer la bouche aux médisans de la déclaration de la plupart d’entre vous ; cependant, pour mettre la chose mieux en évidence, je prie les notaires présens d’en dresser procès-verbal sous forme authentique. »

Par son parti pris d’éviter toute violence, Charles V était parvenu à empêcher l’esprit d’aventures d’exploiter la crise pontificale. Cet esprit était alors partout : dès que s’ouvrait quelque trêve dans la lutte séculaire entre la France et l’Angleterre, princes, seigneurs et routiers en profitaient pour se lancer dans des expéditions lointaines. Clément VII lui-même se souvenait d’avoir jadis, dans les Romagnes, conduit les compagnies de Jean Hawkwood contre les ennemis du saint-siège, et ceux qui se rappelaient le sac de Cesena l’accusaient de ne pas reculer même devant ce que la guerre a de plus horrible. Soldat autant que prêtre, il semble à qui étudie son histoire qu’il portât toujours, comme au temps du conclave, une cuirasse sous son rochet. La « voie de fait » avait toutes ses préférences, et la mort de Charles V lui permit de recourir aux moyens d’action qu’il cherchait depuis longtemps