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garde du sanctuaire. » Le séjour des papes en Avignon avait été bien vu parce qu’il semblait placer le chef de l’Église universelle sous la protection exclusive de la France, protection que le schisme transformait presque en tutelle ; mais du jour où la France s’aperçut que, loin d’exercer cette tutelle, elle risquait de n’être plus que la gardienne d’un pontife discrédité, elle accepta tous les sacrifices matériels pour reprendre dans le monde sa place de fille aînée de l’Eglise une et catholique.

On ne peut nier cependant que l’esprit, ou même l’intérêt national, ait eu de l’influence sur l’origine et sur la durée du schisme ; mais cette influence se faisait sentir de part et d’autre. Etaient-ils désintéressés, ces paroissiens de Sainte-Cécile-au-Transtévère qui, cherchant à imposer à leur cardinal de nommer un pape romain ou pour le moins italien, lui disaient tout crûment, le lendemain de la mort de Grégoire XI : « La vérité, la voici : depuis la mort du pape Boniface, la France se gorge de l’or romain ; nous voulons nous gorger de l’or français. » Il faut reconnaître d’ailleurs que nos pères n’étaient pas étrangers non plus à des préoccupations du même ordre. Cent ans plus tard, lorsque la papauté était définitivement rétablie à Rome, ils parlaient mélancoliquement de « l’évacuation de la pécune » et des longues files de mulets qui allaient porter au-delà des Alpes l’or et l’argent de France. Mais, plus encore que ces grossiers intérêts, l’amour-propre national eut assez de puissance pour se faire sentir jusque dans les travaux d’historiens postérieurs de plusieurs siècles à l’extinction du schisme ; Baluze et Rinaldi, par exemple, n’ont pu s’empêcher d’adopter les préférences de leurs ancêtres et de prendre parti, suivant leurs origines, pour Rome ou pour Avignon.

On attendait toujours un exposé impartial des faits ; M. Noël Valois nous l’a enfin donné, et l’on ne saurait lui en être trop reconnaissant quand on voit à quelles immenses recherches il a dû se livrer pour l’établir de manière à défier les critiques les plus exigeans. Que l’on ne s’y trompe pas cependant ; l’auteur n’est pas de ceux qui se figurent avoir fait œuvre d’historien lorsqu’ils ont mis bout à bout une masse indigeste de documens. Chez lui, la solidité de l’érudition n’ôte rien à l’animation du récit ni à la clarté de l’exposition. Quant à son impartialité, elle ne consiste pas, ainsi qu’il arrive trop souvent, à prendre aveuglément le contre-pied de l’opinion reçue dans le milieu où l’on vit. Rompant sans fracas avec les historiens français qui l’ont précédé, M. Valois ne cache pas que, même sans pression extérieure, celui qui fut Urbain VI aurait sans doute réuni la