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s’oppose à une Chambre aristocratique, ici, dans la même Chambre et dans la seconde Chambre, deux classes, deux fractions de peuple se juxtaposent et fatalement s’opposent ; la même Chambre, la Chambre des députés est à demi aristocratique, à demi populaire ; c’est moins un parlement que des États avec leurs trois ordres : clergé, noblesse, tiers état des villes et campagnes ; — c’est l’Europe du XVIe siècle dans l’Europe du XIXe.

L’Allemagne, d’un bout à l’autre, offre un pareil spectacle : c’est sur la souche restée robuste de ses anciennes institutions sociales qu’elle a greffé les institutions politiques modernes. L’Allemagne : lisez « les Allemagnes », comme disait Comynes. Non point l’empire allemand de 1870, aux institutions toutes neuves, au Reichstag issu du suffrage universel pur et simple ; et, si l’on veut que ce soit le Saint-Empire romain ressuscité, non point cet empire lui-même, mais les nations germaniques qu’il rassemble et qu’il réunit. Chez telle de ces nations allemandes, la greffe est entrée plus profondément ou a repris plus vigoureusement que chez telle autre ; chez celle-ci la souche a été entaillée plus avant que chez celle-là ; mais, chez toutes, c’est une jeune greffe sur une vieille souche, ce n’est pas un jeune plant dans une terre retournée. C’est toujours le même tronc dans la même terre et c’est toujours de la vieille sève que se nourrit l’arbre nouveau.

Maintenant, parmi ces formes anciennes qui survivent, il y en a de trois ou quatre âges, de trois ou quatre époques, il y en a de plus ou moins anciennes ; et c’est l’occasion de répéter que le classement en survivances et renaissances est un peu artificiel, et que toutes ces formes de représentation organique, l’histoire ininterrompue les enveloppe et les rattache les unes aux autres par une trame parfois invisible, mais résistante.

En voici de très anciennes, de type archaïque très pur ; voici le pur moyen âge dans les deux duchés de Mecklembourg ; et de très anciennes encore en Prusse (Chambre des seigneurs), et dans la Hesse électorale. En voici d’autres qui sont mêlées d’ancien et de moderne, en des proportions qui varient, où tantôt c’est l’ancien et tantôt le moderne qui l’emporte, dans les duchés de Saxe, le Brunswick, les principautés de Reuss.

Quant aux villes libres : Hambourg, Brême et Lübeck, bien que la longue filiation de leurs institutions soit connue, elles se rapprochent aujourd’hui de ce que nous regardons comme la forme nouvelle de cette représentation, le type ancien étant caractérisé par l’ordre fermé et la corporation fermée, le type moderne par la classe professionnelle libre et l’association ouverte.