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mais de très courte durée. Il faut d’ailleurs se méfier des eaux de pluie : elles sont chargées de toutes les poussières, de tous les germes malsains qui flottent dans l’atmosphère de cette ville où tant de détritus se sont décomposés au grand soleil ; et chaque pluie est suivie d’une recrudescence de fa lièvre typhoïde qui règne ici à l’état endémique.

Ce n’est pas seulement sur la santé publique que la rareté de l’eau a de l’influence, c’est aussi sur le prix de la vie. Elle rend les transports extrêmement dispendieux, puisque, en l’absence du chemin de fer, ce sont des camions à cinq ou six chevaux qui approvisionnent Coolgardie ; il en coûte 250 francs pour faire franchir à une tonne de marchandise les 250 kilomètres de Boorabbin, terminus du chemin de fer, à Coolgardie ; 200 francs pour les 40 kilomètres qui séparent Coolgardie de Kalgoorlie, où se trouvent plusieurs des mines les plus importantes. A l’hôtel, je paie 15 francs de pension par jour pour loger sous la tôle, avec deux inconnus, dans une chambre où il fait 45 degrés au milieu du jour, qui contient trois lits, trois chaises et une cuvette sur une table boiteuse. Quant à la nourriture elle se compose exclusivement de viande de mouton et de conserves, car on ne saurait rien cultiver ici ; et quelques chèvres sont les seuls animaux domestiques qu’on puisse entretenir, en dehors des chevaux et des chameaux qui servent aux transports. Mais qu’on juge du prix où doivent être les nécessités les plus élémentaires de la vie dans les points les plus reculés des champs d’or, à 100 ou 150 kilomètres de Coolgardie, où l’eau se paye encore actuellement 25 à 30 centimes, et a coûté à certains momens 70 centimes le litre.

Il faut que l’attrait de l’or ait une bien grande puissance pour avoir amené la formation d’une pareille ville en ce pays désert : si désagréable qu’y soit l’existence, elle n’en a pas moins 5 000 habitans environ et il y en a plus de 50 000 répandus sur l’ensemble de l’immense région aurifère de l’Ouest australien. Et Coolgardie, à deux ans et demi, a déjà tous les élémens de la vie sociale, cinq églises : catholique, anglicane, méthodiste, presbytérienne et baptiste, aux fenêtres gothiques découpées dans la tôle ondulée, un théâtre, un club, deux clubs de cricket dont les membres pratiquent avec ardeur le jeu national anglais, si torride que soit la température ; deux journaux enfin, l’un de six pages, l’autre de quatre, qui coûtent respectivement 30 et 20 centimes et par lesquels j’ai appris fort exactement un changement de ministère en France et les noms des nouveaux ministres. Les librairies sont abondamment pourvues de toutes les principales revues, des journaux illustrés, des livres anglais les plus récens, voire de