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on se rend compte de toutes les phases successives par lesquelles passe l’habitation dans un camp minier : d’abord, disséminées au milieu des eucalyptus, les simples lentes, où s’établissent les nouveaux arrivans, à la bourse peu remplie ; puis des baraques plus compliquées où un cadre de branchages maintient la toile et transforme la tente en une cabane de hauteur convenable ; lorsqu’on arrive dans la ville proprement dite les branches sont remplacées par des poutrelles qui forment une charpente régulière, avec des portes et des fenêtres ; l’enveloppe est encore parfois en toile, mais est bientôt supplantée par la tôle ondulée, qui règne en maîtresse dans la plus grande partie de Coolgardie ; enfin, dans Bayley-Street, on s’émerveille de voir deux édifices en briques à deux étages : le Victoria-Hotel, dont la première pierre a été posée en grande pompe il y a un an, et les Coolgardie-Chambers, où se trouvent les bureaux de quelques-unes des principales sociétés minières. Les rues sont démesurément larges, et le paraissent d’autant plus que, la tôle ondulée ne se prêtant guère à la superposition des étages, toutes les maisons qui les bordent sont à simple rez-de-chaussée : la raison de cette largeur des voies publiques, c’est la crainte des incendies. Si le feu se déclare à Coolgardie, il ne faut pas songer à l’éteindre : les approvisionnemens d’eau sont tout à fait insuffisans ; c’est la largeur des rues seule qui peut empêcher l’embrasement de toute la ville. Les compagnies d’assurance refusent le plus souvent de courir ces risques énormes ; heureusement les maisons de tôle sont vite rebâties : au moment où j’arrivai à Coolgardie tout un îlot venait ainsi d’être détruit ; l’on n’y voyait que plaques de métal tordues et débris carbonisés. Quand je repartis quinze jours après, la moitié de cet espace était déjà reconstruit.

Il y a bien peu d’ombre dans ces larges rues, et le vent s’y engouffre souvent en soulevant des tourbillons de poussière qui pénètrent partout à travers les tôles mal jointes : avec les mouches, cette poussière est le fléau de Coolgardie, fléau d’autant plus terrible que le remède, c’est-à-dire l’eau, est plus parcimonieusement mesuré. Ce précieux liquide se paye ici 6 pence le gallon, soit 15 centimes le litre : c’est plus que ne vaut le vin commun en Languedoc après une bonne récolte. L’eau provient exclusivement de la distillation de l’eau salée souterraine des environs, car nous voici au commencement de novembre, et depuis le 1er août, il n’a pas plu. Comme nous ne sommes qu’au printemps, bien qu’il fasse déjà plus de quarante degrés à l’ombre au milieu du jour, il n’y aura guère encore pendant cinq mois de pluie sérieuse, tout au plus trois ou quatre ondées torrentielles,