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en voir aux Etats-Unis ; dans le monde entier, elle n’est dépassée que par Chicago pour la rapidité de la croissance. La bourgade qui, en 1841, comptait 4 479 habitans, en avait 490 000 d’après le recensement de 1891. Les rues, larges de 30 mètres, du quartier central, parcourues par l’un des meilleurs systèmes de tramways à câble qui soient, bordées de hauts bâtimens de six, huit ou dix étages, rappellent les grandes villes américaines, mais avec plus de luxe : les voies sont bien pavées, les maisons sont en pierre au lieu d’être en briques, l’air n’est pas obscurci de fumée. Des boutiques élégantes bordent les plus belles des rues, Collins Street, Elisabeth Street, et sont précédées de marquises qui couvrent toute la largeur du trottoir et permettent de s’arrêter aux étalages et de circuler à l’abri de la pluie et du violent soleil de Melbourne. Mais tous ces brillans dehors sont un peu du clinquant, et l’on s’en aperçoit surtout aujourd’hui qu’une crise intense, provoquée par des spéculations insensées sur les terrains et de très graves imprudences des banques, s’est abattue sur l’Australie tout entière, principalement sur la colonie de Victoria et sa capitale.

Lorsqu’on a voulu y entreprendre les travaux les plus nécessaires, qu’on avait négligés pour les œuvres d’apparat, l’argent a manqué. C’est ainsi qu’il n’y a pas d’égouts sous la plupart de ces superbes rues ; c’est ainsi encore que, en plein centre de la ville, à côté d’un immense hôtel des postes, surmonté d’une haute tour et entouré d’arcades, le télégraphe est logé dans des masures en bois, que la gare n’est aussi qu’une misérable agglomération de baraques de bois à côté d’un palais en pierre de taille où sont installés les bureaux de l’administration des chemins de fer. Dans les faubourgs populaires, où loge la plus grande partie des habitans, les rues étroites et mal pavées contrastent avec les luxueuses artères du centre, et à quelques pas des beaux magasins d’Elisabeth Street s’entassent des masures en plâtras où vit une population interlope. Les traces de la crise actuelle se voient même dans les quartiers riches du sud-est : dans certaines rues, les deux tiers de ces jolies résidences entourées de jardins luxueux sont inhabitées, et les écriteaux qui portent l’inscription to let, à louer, se dressent de toute part au bout d’un poteau, surmontant la porte des jardins.

« La nature, disent les habitans de Melbourne, ne nous a rien donné : ce sont les hommes qui ont créé notre ville, tandis que Sydney est l’œuvre de la nature qui n’y a rien laissé à faire aux hommes. » Quoiqu’un peu excessive, cette opinion exprime bien la différence entre les deux plus grandes villes de l’Australie. Melbourne n’a qu’un médiocre port sur les rives boueuses et sans