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de loin, en arrivant du nord, lorsqu’on traverse l’île en voiture ; la masse énorme du Ruapehu se dresse à 2 700 mètres, couverte de neige en hiver sur la moitié de sa hauteur, flanquée à droite du cône régulier du Ngauruhoe, d’où s’échappe une spirale de vapeur, et du cône tronqué du Tongariro, étincelans de blancheur eux aussi et dominant les eaux bleues du lac Taupo. Le coup d’œil paraît d’autant plus imposant qu’on a traversé pendant de longues heures de mornes plateaux mamelonnés, couverts seulement de fougères, où de rares lambeaux de bois attachés aux flancs de quelques collines sont tout ce qui reste des anciennes forêts qu’ont ravagées les incendies.

La végétation, là où elle subsiste encore, est ce qu’il y a de plus magnifique à la Nouvelle-Zélande. Tous les arbres indigènes sont à feuilles persistantes, mais ils n’ont pas l’uniformité, la raideur qui rend trop souvent tristes les forêts de pins et de sapins des pays du Nord, et leurs feuillages ont les teintes les plus variées du vert. Le plus beau de ces arbres, le kauri, qui atteint parfois quarante mètres de hauteur, dont les premières branches se détachent du tronc à vingt mètres, ne pousse plus aujourd’hui que dans la longue péninsule septentrionale, au nord d’Auckland ; son aire était bien plus étendue jadis, comme en témoigne la curieuse industrie de la gomme fossile : l’extraction de cette résine de kauri enfouie dans le sol, et provenant d’anciennes forêts, est une des industries importantes du pays. Dans l’année 1893, il en avait été retiré plus de 8 000 tonnes valant 6 millions et demi de francs, et la valeur totale de la gomme extraite depuis quarante ans atteint 170 millions. C’est une matière assez semblable à l’ambre par son aspect et les usages auxquels elle se prête. Le kauri est le plus grand, le plus utile des arbres de la Nouvelle-Zélande ; les autres bons bois de construction y sont rares. Mais c’est le sous-bois, plus encore que les arbres de haute futaie, qui fait le charme et la beauté de ces forêts. J’en fus émerveillé, surtout, dans un petit bois séparé seulement par un pli de terrain du sinistre vallon de Tikitere, au sol nu et jauni, troué de solfatares, entrecoupé de mares de boue huileuse, que de gros bouillons soulèvent lourdement pour en laisser échapper des vapeurs fétides. A trois cents mètres de ce site désolé, je me trouvais au milieu des fougères arborescentes, dont les grands troncs s’élèvent jusqu’à quinze ou vingt pieds pour s’épanouir en une couronne d’immenses frondaisons ; parmi toutes les espèces variées se distingue la silver-fern, avec l’envers de ses feuilles d’un blanc d’argent. Des lianes qui entrelacent le sous-bois en font un fourré aussi inextricable qu’en une