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Rarement une journée s’écoulait sans qu’il fit venir Tessé au palais, soit pour le tenir au courant des négociations qu’il continuait de poursuivre avec Mansfeld et Legañez, soit pour l’entretenir de bagatelles. « Notre conversation, écrivait Tessé au Roi au sortir d’un de ces entretiens[1], roula sur la joie qu’il avoit de pouvoir croire et espérer que c’estoit tout de bon que Vostre Majesté l’honoroit du retour effectif de ses bonnes grâces et de sa puissante protection, me répettant mille fois qu’il vous donneroit tant de marques de son attachement que non seulement le passé s’effaceroit, mais que les soupçons que Vostre Majesté peut avoir qu’il est subtil et incertain se dissiperoient par le dévouement réel qu’il auroit pour vous plaire. »

Le présent semblait donc acquis. Restait à assurer l’avenir, autant que l’avenir pouvait être assuré avec un souverain, quoi qu’il en dît, subtil et incertain, en concluant l’affaire du mariage, et en signant le contrat de la princesse Adélaïde avec le duc de Bourgogne. C’est à quoi Tessé s’employait avec activité, non sans avoir à triompher encore de certaines difficultés.


IV

Dans un temps où (guère plus qu’aujourd’hui du reste) la force primait souvent le droit, il est assez curieux de constater quelle singulière importance s’attachait à la rédaction des actes publics. A voir le soin avec lequel les moindres termes en étaient pesés, on pourrait croire que les contestations possibles dussent être pacifiquement et impartialement tranchées par quelque tribunal amphictyonique, tandis qu’en réalité c’était la fortune des armes qui prononçait en dernier ressort. Il est certain cependant que parfois une guerre naissait de l’interprétation de tel mot inséré dans un contrat ou dans un traité, et que les souverains invoquaient souvent l’opinion des légistes pour appuyer leurs prétentions ou justifier leurs conquêtes. C’est ainsi que Louis XIV, dans sa guerre récente contre Victor-Amédée, s’étant emparé du comté de Nice, il avait fait établir juridiquement, par le parlement d’Aix, que ce comté n’était qu’une dépendance de l’ancien comté de Provence, et qu’il avait en conséquence droit de le garder. Trente années auparavant, c’était de l’interprétation que comportaient les renonciations insérées dans le contrat de mariage de Marie-Thérèse avec Louis XIV qu’était née la guerre de Dévolution à la suite de laquelle les meilleures places des

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 27 juillet 1696.