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qu’elle ne rougisse modestement, comme si elle entendait que c’est moy qui la fais souvenir de Monseigneur le duc de Bourgogne. » Et dans une autre lettre : « Cette princesse disait hier à sa mère qui lui parla du comte de Mansfeld (le commissaire impérial en Italie) : Mon Dieu, que vient-il faire ici ? Vous verres que papa écoutera encore des choses comme autrefois. Cet nommera n’a que faire ici. Que ne vous laisse-t-il en repos[1]. »

La petite princesse n’avait pas tort de penser que le comte de Mansfeld était envoyé par l’empereur Léopold pour mettre obstacle à son mariage. Il arrivait précédé d’une assez fâcheuse réputation. « J’ai supplié Son Altesse, écrivait Tessé à Barbezieux[2], de ne pas souffrir qu’il s’approchât de sa cuisine : pour moi, il n’y a pas apparence que je fasse aucun repas avec lui, car ce monsieur est soupçonné d’avoir eu part à celui que fit la Reine d’Espagne avant que de passer de ce monde-ci à l’autre. » À la fin du XVIIe siècle on était fort enclin à croire aux empoisonnemens, et la participation du comte de Mansfeld à un crime aussi odieux n’a jamais été sérieusement établie. Au surplus, Tessé lui-même ne paraît pas avoir ajouté grande foi à l’accusation qu’il portait, et c’est généralement sur un ton badin qu’il parle de ce vieux serviteur de la maison d’Autriche. « M. de Mansfeld porte une perruque blonde, mais blonde et frisottée, que celui qui fonda la Toison d’Or, en commémoration de ce qu’il trouva, ne rencontra rien de si crespé ni de si blond. Il est pourtant sexagénaire… Il dit bien en montrant son plein pouvoir qu’il n’avait nulle instruction de l’Empereur, qui luy avoit dit seulement : Partes, faites diligence, et tout ce que vous ferès sera à propos. Cependant le temps que l’on a mis à copier ses titres pouvoit suffire à celuy qu’il eût fallu pour une longue instruction[3]. »

Le comte de Mansfeld n’avait pas besoin d’instructions précises pour savoir qu’il devait s’opposer de tout son pouvoir au mariage projeté. Mais il ne pouvait faire autre chose que renouveler les propositions déjà transmises à Turin par l’abbé Grimani, et offrir de substituer l’alliance du roi des Romains à celle du duc de Bourgogne. À cette proposition Victor-Amédée commençait par répondre, non sans une certaine ironie : « que l’inclination de la mère et de la fille ne se trouvaient pas à profiter d’un si grand avantage, et que, comme sa Majesté Impériale avoit semblé croire, dans de certains temps, que l’alliance du Danemarck étoit plus convenable à l’Empire que celle de Savoye, l’on croyoit

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 11 août 1696.
  2. Dépôt de la Guerre. Italie, vol. 1374. Tessé à Barbezieux, 7 août 1696.
  3. Ibid. Tessé à Barbezieux, 14 août 1696.