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n’apparaît pas dans ses lettres, et il dut lui rester singulièrement peu de loisirs pour semblable récréation, car jamais nous ne le voyons aussi affairé et aussi soigneux à la correspondance. Aucun jour ne se passe qu’il n’écrive au Roi, à Barbezieux, à Torcy, qui devait, à partir du 29 juillet, remplacer son père comme secrétaire d’État. C’est que les affaires à traiter ne lui manquaient pas. Il avait tout à la fois à surveiller les négociations que Victor-Amédée poursuivait avec ses alliés de la veille pour les amener à reconnaître ce qu’on appelait alors la neutralité d’Italie, à surveiller la rédaction du contrat de mariage de la princesse Adélaïde avec le duc de Bourgogne, à régler les préparatifs de son départ pour la France, et à résoudre les questions multiples que ce voyage soulevait. En même temps il avait soin, car Louis XIV le lui avait expressément recommandé, de remplir ses lettres de menus détails qu’il jugeait de nature à intéresser le Roi. En habile homme, il choisissait de préférence ceux qui pouvaient flatter son orgueil. C’est ainsi qu’il ne manquait pas de lui faire savoir que sa fête avait été célébrée avec grand éclat le jour de la Saint-Louis. « Mme la Duchesse en fîst les honneurs. La porte de l’église estoit ornée d’un grand Saint-Louis dont l’image, non plus que les ornemens d’église, n’avoient pas paru depuis que M. le duc de Savoye s’estoit uni à la Ligue, et il y eut musique, au sortir de laquelle je crus devoir faire quelques aumônes de ma portée, et le soir il y eut des danses dans les rues. »

Tessé rendait compte également au roi de la « joye excessive et indicible » de la duchesse Anne, qui, depuis son mariage, n’avait pas connu d’aussi beaux jours. « Elle éclate en tout, et quoy qu’il lui soit fort recommandé d’estre en garde, pour ne point faire connoître aux chefs des alliés la partialité de son cœur, cette princesse ne peut se contenir, et cherche tous les moyens de causer avec moi, de parler de Vostre Majesté, de sa joye, de ses embarras et de ses mortifications passées, » et il ajoutait dans une autre lettre : « Certainement, elle a le cœur digne de l’honneur qu’elle a d’estre nièce de Vostre Majesté[1]. »

Pour rendre ce qu’il devait à la duchesse Anne, Tessé ne négligeait pas cependant de payer ses hommages à la comtesse de Verrue. C’était Saint-Thomas qui, en homme avisé et connaissant bien son maître, lui avait donné ce conseil. « Je ne vous rens

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 20 juillet, 5 août 1696. Un assez grand nombre de ces dépêches de Tessé au Roi ont été citées, d’après les copies qui sont au Dépôt de la Guerre, par M. de Boislisle, au tome III (p. 419 et suivantes) de sa savante édition des Mémoires de Saint-Simon à laquelle il est impossible de ne pas faire de larges emprunts, toutes les fois qu’on écrit sur ces temps. Los originaux de ces dépêches, auxquels nous nous sommes reporté, sont aux Affaires étrangères.