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Le duc de Savoie le reçut dans son petit appartement. « Il me parla le premier, continue Tessé, avec éloquence, dignité et sérieusement. Cependant, Sire, je n’eus pas plustôt répondu que ce sérieux se dissipa. Il me tira à part à sa fenestre, et me témoigna de la joye de ce qu’il n’estoit plus question de nos aventures nocturnes. »

La comédie avait été admirablement jouée entre Tessé et Victor-Amédée qui tenait à tromper son monde jusqu’au bout. Elle se continua avec Saint-Thomas : « Une chose facétieuse, fut l’entrevue et les premiers discours du marquis de Saint-Thomas. Il m’aborda et se fit nommer par le comte de Vernon (le maître des cérémonies) comme si de sa vie il ne m’avoit veu. Cependant, comme chacun s’en alla, la comédie ne dura plus. Nous nous embrassâmes. Je luy donnay la lettre de Votre Majesté et nous parlâmes affaires. » Le soir Tessé fut conduit au cercle de la cour, où il vit des princesses bien contentes : « Madame Royalle, toujours gracieuse, voulant et cherchant à plaire et à contenter, me dist mille choses flatteuses pour moy et relatives au tendre attachement qu’elle a pour Votre Majesté et pour ses intérêts. Quant à Mme la Duchesse, peu s’en fallut qu’elle ne s’attendrist de joye, et je sentis l’instant que je serois de mesme. Elle me fit mille questions, et me conta tout bas qu’alors que je mis pied à terre dans la cour, elle estoit aux fenêtres du palais avec la princesse sa fille qui me connut pour le mesme homme qu’elle avoit vu, quelques jours auparavant, dans le cabinet de son père. L’on lui deffendit de le dire, mais au bout du conte, Sire, c’est le secret de la comédie. »

Louis XIV se montrait fort satisfait de la réception faite à son envoyé, et Torcy, qui tenait déjà la plume au lieu et place de son père malade, lui en faisait compliment de son côté : « En vérité, je croy, écrivait-il à Tessé, qu’il s’en fallut beaucoup que Lancelot ne fut si bien reçu à son retour d’Angleterre, et cependant c’est le modèle de la réception, s’il en faut croire un homme du siècle passé qui s’y connoissoit fort bien. Quand je pourrois me flatter d’avoir quelque pari à l’honneur de votre amitié, j’hazarderay de vous demander le nom de l’Infante qui doit toujours terminer ces réceptions, car je ne compte pas que M. de Bouzols me le dise, si vous l’avez mis dans votre confidence. Il n’avoueroit plutôt les conquestes que sa belle perruque lui fera faire[1]. »

Si Tessé, qui n’en était pas incapable, profita de son séjour pour faire la conquête de quelque infante, du moins cela

  1. Papiers Tessé. Torcy à Tessé, 26 juillet 1696.