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Une seule fois cette faveur de venir rejoindre son mari lui fut accordée. Ce fut quand, en guerre avec la France, Victor-Amédée tomba malade de la petite vérole à Embrun. Aux premières nouvelles, la duchesse Anne n’osait même pas solliciter la permission de venir le rejoindre. « Il ne faut s’amuser à parler de cela, écrivait-elle à Saint-Thomas, estant inutile[1]. » A sa grande surprise cependant, Victor-Amédée la mandait auprès de lui. Elle partait précipitamment, et en cours de route adressait ce billet à Saint-Thomas : « Dès que la marquise de Sommerive m’a dit que Son Altesse Royale approuvait que je l’allasse rejoindre, je me suis mise en chemin, et arrive dans ce moment-ci. Je compte retrouver la litière ainsi qu’elle me l’a dit, et en attendant, j’envoie les remèdes que l’on a demandés, mourant d’impatience d’estre moi-même auprès de Son Altesse Royale à laquelle j’ai une reconnoissance extrême de ce qu’il me donne la consolation de l’aller servir, et à vous de me l’avoir fait savoir. Faites-lui mes complimens en attendant que je les luy fasse moi-même. » Bravant la contagion, elle s’installait au chevet de son mari, et de là envoyait tous les jours des nouvelles à Madame Royale, qu’elle tenait au courant des alternatives de la maladie, avec autant de soin que si elle avait eu affaire à la plus tendre des mères. « Tout continue à aller bien, écrivait-elle un jour ; la vérole peut se dire finie, vous pouvez donc être parfaitement tranquille. » Et quelques jours après : « Vous pouvez penser, Madame, que le premier jour où j’ai vu la fièvre revenir plus tost violente à Son Altesse Royale, je fus dans une peine très grande, d’autant plus que nous étions sans médecins. Grâce au ciel, cependant, dans les jours suivans, la fièvre fut peu de chose, et elle n’est pas revenue. » Victor-Amédée finissait par se rétablir, et elle le ramenait à petites journées à Turin, où il languissait auprès d’elle plusieurs mois. Mais à peine était-il rétabli qu’il la quittait de nouveau, et que la comtesse de Verrue reprenait sur lui tout son empire.


II

Au milieu de tant d’épreuves, la duchesse Anne ne pouvait connaître d’autres joies que celles de la maternité : ces joies ne lui furent pas épargnées. Elle eut de son mari huit enfans, dont quatre morts en bas âge, et fit en outre plusieurs fausses couches. Sa première née fut précisément la princesse Adélaïde, qui

  1. Luisa Sarredo, p. 156 et suiv,