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mère », son grand écuyer, le comte de Saint-Sébastien, qui l’épousa prestement, et, bien des années après, la comtesse de Saint-Sébastien, devenue veuve et dame d’atours de la princesse de Piémont, contracta un mariage secret avec Victor-Amédée, qui était à la veille d’abdiquer, et auquel elle survécut.

Avant de faire ce mariage à la Maintenon, Victor-Amédée devait trouver d’abord sa Fontanges en Mlle de Saluées qui épousa ensuite le marquis de Prié, ambassadeur de Savoie à Vienne, puis ensuite sa Montespan qui fut la comtesse de Verrue. De celle-ci le roman et l’histoire se sont emparés[1]. Elle était fille de ce duc de Luynes qui avait à la cour de Louis XIV juste renom de sagesse et de piété, et qui vécut quelques années en étroites relations avec Port-Royal. Rien cependant de janséniste dans la vie ni dans le caractère de la dame qui, assure-t-on, composa pour elle-même cette épitaphe :


Ci-gît, dans une paix profonde,
Cette dame de volupté
Qui, pour plus grande sûreté,
Fit son paradis en ce monde.


Mariée à quatorze ans, comme la duchesse Anne, qu’elle précéda de peu à Turin, elle avait passé plusieurs saisons à la cour sans attirer l’attention de Victor-Amédée. Elle venait d’atteindre ses dix-huit ans, lorsqu’on commença de remarquer que, durant un hiver rigoureux, qui avait couvert de neige les environs de Turin, c’était toujours le traîneau de Mme de Verrue que Victor-Amédée conduisait, de préférence à celui des autres dames de la cour. Puis on remarquait également qu’à l’Opéra c’était dans sa loge qu’il passait la plus grande partie de la soirée. L’ambassadeur d’Arcy en rendait compte à Louis XIV : « Votre Majesté continuant à m’ordonner que je ne lui laisse rien ignorer des actions particulières de M. le duc de Savoye et de ses divertissemens, je dois lui dire que depuis qu’il a mené la jeune Mme de Verrue en traîneau, il me semble qu’il continue et même qu’il redouble ses assiduités pour elle. Il ne manque point de jour d’Opéra à la voir dans la loge de cette dame, où ils font ensemble des éclats de rire entendus de tout le monde. Cependant la jeunesse et l’humeur réjouissante de la dame peuvent avoir plus de part à tout cela, au moins de son côté, qu’aucune autre chose, et l’on ne s’aperçoit pas encore d’aucune intelligence entre eux qui

  1. La comtesse de Verrue est l’héroïne d’un roman d’Alexandre Dumas père intitulé : la Dame de Volupté. M. G. de Leris lui a consacré une biographie qui contient de piquans détails sur la cour de Victor-Amédée.