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livre de notes trouvé dans la poche du major White. Le carnet porte que ces notes ont été prises pour être communiquées à Jameson. En voici les dernières lignes : « 20 décembre : reçu dépêche du colonel Rhodes disant qu’il enverra un télégramme chiffré quand il faudra se mettre en marche. Répondu que nous ne recevrons nos ordres que de Cecil Rhodes. — 29 décembre : reçu dépêche de Cecil Rhodes disant de marcher immédiatement sur Johannesburg. » Ainsi les conspirateurs déclaraient qu’ils ne se contenteraient pas du mot d’ordre transmis par le propre frère de M. Cecil Rhodes. Ils voulaient ne le recevoir que de celui-ci en personne, et ils l’ont reçu. A quoi bon, d’ailleurs, disputer sur le plus ou moins de responsabilité de M. Cecil Rhodes ? Mieux vaut, au point où en sont les choses, avouer qu’elle a été pleine, entière, et, pour parler exactement, qu’elle prime toutes les autres. M. Cecil Rhodes a été la tête, Jameson n’a été que le bras. L’invasion du Transvaal a été préparée, machinée de très longue main par les directeurs africains de la Compagnie à Charte et par le premier et le plus puissant d’entre eux. Il semble bien que les agens directs du gouvernement anglais dans l’Afrique australe, ou du moins ceux qui sont aujourd’hui en fonctions, ont été laissés en dehors de toute l’affaire et qu’ils ont pu l’ignorer ; mais alors il faut reconnaître qu’ils ont mis peu d’empressement à se renseigner. Depuis longtemps déjà l’orage grondait. L’inquiétude était générale à Johannesburg : on y parlait couramment du danger chaque jour plus menaçant. Le gouvernement anglais a un représentant au Transvaal, mais celui-ci n’a rien vu ; il a été maintenu jusqu’au dernier moment dans l’ignorance la plus profonde de ce qui se tramait ; il a été surpris par l’événement. On nous demande d’admettre tout cela et nous l’admettons. Le gouvernement anglais a été étranger à une entreprise qui a si mal tourné, soit ; il n’en est pas de même de la Compagnie à Charte. C’est par elle que l’entreprise a été conduite, et sa seule excuse est qu’elle n’a peut-être pas exclusivement obéi à des motifs intéressés. On assure que le patriotisme y est entré pour quelque chose, et cela est possible ; mais si les égaremens du patriotisme sont excusables, il faut se borner à les excuser et non pas les innocenter. M. Chamberlain est-il resté jusqu’au bout dans cette juste mesure ? Nous avons approuvé son attitude au moment où se sont produites les premières complications du Transvaal. Il a fait des efforts impuissans mais sincères pour arrêter Jameson ; il l’a blâmé ; il a parlé le langage de la raison et de la probité politiques. Lorsqu’il s’est adressé à M. Krüger pour lui recommander la clémence, il a usé des termes les plus convenables. On sait quelle a été la conduite de M. Krüger, et à quel point elle a été digne d’éloges : il a remis Jameson entre les mains des autorités britanniques, en laissant à l’Angleterre le soin de prononcer le jugement qui lui paraîtrait équitable. A