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que lui. Mais où il a dépassé la mesure, c’est lorsqu’il a enjoint à M. Méline d’exécuter ce même programme, et de commencer par la révision. Il s’exposait à une réponse trop facile, et à laquelle il n’a pas échappé : — Pourquoi n’avez-vous pas fait vous-même ce que vous nous demandez de faire ?

Déjà M. Paul Deschanel, dans un discours vif, pressant, éloquent, avait mis au jour, point par point, l’impuissance où s’était trouvé le cabinet radical d’exécuter le moindre article de son programme. La démonstration n’était pas nouvelle, mais elle était plus opportune que jamais. Elle n’était pas nouvelle parce que M. Deschanel ne s’était pas privé, pour son compte personnel, du plaisir de la présenter déjà. Dès le début de son ministère, il avait mis M. Bourgeois au défi de réaliser une seule des réformes qui constituent le bagage politique du radicalisme : il était donc mieux que personne en situation de constater l’absolue stérilité du gouvernement radical, et c’est une tâche dont il s’est fort bien acquitté. Après cela, M. Bourgeois était mal venu à demandera M. Méline défaire quoi ? précisément ce qu’il n’avait pas osé faire lui-même. De toutes les promesses du radicalisme, celles qui se rattachent à la révision de la Constitution ne sont certes pas les plus faciles à tenir. Aussi, en arrivant au pouvoir, M. Bourgeois s’était-il bien gardé de les renouveler ; il avait ajourné la révision ; il s’était refusé à la mettre dans son programme. Mais il exige maintenant qu’elle figure dans celui de M. Méline. On conviendra que la prétention est singulière. Elle le serait en tout temps ; elle l’est plus encore à l’heure où nous sommes. M. Bourgeois est mort du conflit qu’il a eu l’imprudence et la maladresse d’ouvrir avec le Sénat. Ne pouvant pas le prolonger plus longtemps, il a donné sa démission. Le lendemain, que demande-t-il à M. Méline ? De continuer, en l’aggravant, cette même politique sous le poids de laquelle il a succombé. En l’aggravant, disons-nous : il est clair, en effet, que toute proposition de révision serait en ce moment un acte d’hostilité directe contre le Sénat, et que le Gouvernement qui en prendrait l’initiative se mettrait à l’égard de la haute assemblée dans une situation encore plus mauvaise que celle où était hier M. Bourgeois. Si celui-ci a pu croire que M. Méline tomberait dans le piège, il a été bientôt détrompé. En quelques mots empreints de cet accent d’honnêteté politique qui fait toujours impression sur les Chambres, M. Méline a refusé de suivre son prédécesseur sur le terrain où il voulait l’attirer. Il est venu, non pas pour faire durer le conflit, mais pour y mettre fin ; non pas pour maintenir le désaccord entre les pouvoirs publics, mais pour y rétablir l’harmonie ; non pas pour agiter les passions, mais pour les apaiser. On ne pouvait mieux dire, et dès ce moment M. Méline a été sûr d’avoir la majorité dans la Chambre. Mais on se demande encore ce que s’est proposé et ce qu’a espéré M. Bourgeois.