Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

journées, du goût qu’il avait jadis pour chasser au « roccolo », de la manie qu’il a conservée de s’enfermer dans sa chambre pour compter et recompter son trésor d’avare, mettre en bon ordre les rouleaux d’or, glisser les billets de banque dans des enveloppes par petits paquets égaux, puis tout ranger, tout faire disparaître au fond de cachettes connues de lui seul, comme une manière d’Harpagon. Ce qui le frappe maintenant, c’est l’aspect chétif, frêle, du vieillard « avec son cou mince de petit oiseau malade ». Le pape a près de lui un verre d’eau sucrée qu’il remue lui-même avec une cuiller d’argent, et où il boit à petits coups. Il prise. Il tient son mouchoir sur ses genoux. Il a une soutane malpropre, tachée de tabac. Et toujours ce cou extraordinaire ! « le fil invraisemblable, le cou d’un petit oiseau très vieux et très blanc. » Dans cette tendance à n’apercevoir d’une figure que ses laideurs et ses trivialités, dans cette insistance à mettre en relief un trait frappant, nous retrouvons les recettes mêmes introduites par le naturalisme dans la peinture de portraits. C’est le portrait du pape sorti du même atelier que celui de Coupeau, « gai, content, avec sa face de chien joyeux. » C’est Léon XIII en pendant avec « ce louchon d’Augustine. »

Je n’accuse d’ailleurs nullement M. Zola d’avoir usé, vis-à-vis du successeur de saint Pierre, ni de parti pris, ni de représailles. Il ne lui est pas étroitement hostile. Il ne se pose pas en adversaire, en tombeur de Léon XIII. Il lui reconnaît des mérites réels et des qualités solides. Il veut rester impartial. C’est dire qu’il ne consent pas davantage à aliéner la liberté de son esprit. Il regarde le [pape bien en face, dans les yeux, et, comme dit l’autre, d’homme à homme. Et nous allons assister à une lutte d’idées, à un tournoi oratoire. C’est la « grande scène » de l’entrevue, la scène à grand orchestre. Il faut la lire attentivement et sauter, si l’on veut, quelques-uns des feuillets qui précèdent, mais ici s’arrêter et savourer. Le dessin lui-même et le mouvement de la conversation sont admirables. C’est l’abbé qui prend d’abord la parole, et, comme il est en verve, nullement gêné, désireux plutôt de profiter d’une occasion qui ne se représentera pas, il va, lancé à fond de train, place un véritable discours, fait la leçon au pape, lui trace une ligne de conduite, le renseigne abondamment sur ses devoirs, sur l’attitude qu’il serait décent pour lui d’observer. Il est stupéfiant. Son interlocuteur ne l’est pas moins. Mis à l’aise par l’évidente sincérité de son partenaire, il n’essaie même pas de jouer au plus fin et de faire le mystérieux, il expose ses projets, dévoile ses plans, développe ses idées sur le dogme, sur le pouvoir temporel, sur l’unité de l’Église, sur le socialisme, sur les corporations ouvrières, sur le « libéralisme frondeur » et l’ « appétit d’aventures sentimentales », et il va, incapable lui aussi de s’arrêter, coulant des bribes d’encycliques dans la phraséologie des Rougon-Macquart. Je dirais que le Saint-père se débonde, si j’osais à