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entre un voyage économique et un voyage véritable. Il a fait de l’observation à prix réduits.

Le résultat d’une observation sérieuse, et le signe auquel on reconnaît un auteur en possession de son sujet, c’est le choix qu’il fait entre tous les matériaux qui s’offrent à lui. Il écarte les notions rebattues, qui traînent partout, dégoûtantes de banalité ; il élimine les détails accessoires ou inutiles, ce qui ne fait que gêner, encombrer, masquer la vue ; il retient uniquement ce qui est caractéristique, ce qui est typique et essentiel. Ce travail de subordination et de classification, l’abbé Pierre n’a pas le loisir de s’y livrer. Il transcrit le pêle-mêle de ses notes, il nous confie les remarques qu’il a faites, sans y chercher malice et à la bonne franquette. Il nous fait part de ses étonnemens, qui sont nombreux et relate tout ce qui lui a paru curieux : c’est par exemple que les cardinaux ont des bas rouges et que les fenêtres du Vatican ont vue sur Rome. Comme il est naturel, ce qu’il ne connaissait pas il le croit inconnu de tous, nouveau et inouï. Ça n’avait jamais été dit. « Personne n’avait dit, personne ne semblait savoir que ce palais dominait Rome et que de sa fenêtre le pape voyait le monde. » Pour lui il veut tout dire, faire un résumé complet, ou, comme il s’exprime en son jargon, « total ». Il décrit avec rage, il énumère avec frénésie. La Rome d’autrefois et celle d’aujourd’hui, les monumens en ruines et les édifices en construction, la campagne et la ville, le Corso, les quartiers neufs, les faubourgs et les bouges, les quais, les places, les rues, tout y passe. Voici le Capitole, le Forum, l’arc de Septime Sévère, le Colisée, les catacombes, le stade, le couloir souterrain où Caligula fut assassiné. Voici les musées avec mention des tableaux et des marbres que Bædeker marque d’une astérisque : au musée des antiques le Laocoon, l’Apollon, le Méléagre, le torse d’Hercule, au musée du Capitole la Vénus et le Gaulois mourant. Voici les églises, dont on ne compte à Rome pas moins de quatre cents, les tombeaux des papes, les palais, les villas, les fontaines, les places. Voici la liste des congrégations : de l’Index, de la Propagande, des Evoques, des Rites, du Concile, la Consistoriale, la Daterie, la Sacrée Pénitencerie. Et voici la liste des ordres religieux : les Franciscains, les Dominicains, les Jésuites, les Carmes, les Trappistes, les Minimes, les Barnabites, les Eudistes, les Missionnaires, les Récollets, les Observantins, les Capucins. J’abrège. Mais M. Zola ne nous fait grâce d’aucun des renseignemens qu’il a trouvés dans les répertoires, comme jadis il épuisait pour nous la collection des Manuels-Roret, celui du chasublier brodeur dans le Rêve ou, dans le Ventre de Paris, celui du parfait charcutier, cataloguant les galantines, les saucisses et les saucissons, les boudins, les jambons, les saindoux, toutes les variétés de chapelure et toutes les espèces de lard.